Plongée dans l’imaginaire actif des Anglais et des Français lors de leurs rencontres avec Tahitiens et Samoans au XVIIIe siècle, immersion proposée en sept séances autour d’une figure particulière de femme sauvage. Plus particulièrement, retour sur l’un des événements marquants de l’expédition de Lapérouse, l’épisode guerrier et meurtrier de la baie de Maouna, survenu le 11 décembre 1787, moment à partir duquel le regard enchanté des Européens sur les polynésiens, et les femmes en particulier, a radicalement changé. Tentative collective pour saisir la structure de ce changement et la façon dont féminité et sauvagerie s’agençaient au regard des Européens.
Archives de l’auteur : G.Hosteins
Les Politiques
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Il n’est pas rare de voir des populations entières d’êtres humains prendre la liberté ou éprouver la nécessité de confier la conduite de leurs affaires à des sages, des esprits, des astres, à leurs rêves, la providence d’un dieu ou leur nature première. À la Renaissance, les Européens ont fait un pari tout différent. Ils ont fait appel aux Politiques : des sensibilités, des façons d’agir, des institutions, portées par des hommes et quelques femmes se consacrant spécifiquement, ouvertement ou non, aux affaires humaines sous un angle, du moins à l’origine, un peu particulier : essentiellement militaire et financier. Guerre et Trésor, voilà ce qui pendant longtemps semblât suffire aux Européens pour régler leurs problèmes. La liberté et nécessité d’action des politiques en était justifiée. Et cela dure encore. Mais combien de temps va-t-on encore croire qu’il suffit de s’en remettre à eux pour faire face à ce qui monte, à ce qui tombe, à ce qui vient droit sur nous ?
— Tu veux dire que c’est à nous de faire face ? que bien des problèmes relèvent de notre responsabilité individuelle ? que c’est à nous, citoyens, qu’il revient de se retrousser les manches et non à ceux, du moins en premier lieu, qui peuplent les assemblées et président les bureaux ?
— Mais tu m’as écouté ? Je te dis qu’il faut aller jusqu’à questionner la nature politique du problème pour pouvoir le poser dans toute son étendue. Que rêver d’une politique mondiale ne mène pas encore assez loin. Et que je sache, ton titre de citoyen et les honneurs (mais les maigres pouvoirs) que tu sembles retirer d’avance de ta responsabilité individuelle sont une institution politique au même titre que le plus insignifiant des cabinets ministériels…
— Mais comment tu veux aborder nos problèmes autrement que politiquement ?
— C’est vrai que beaucoup préparent une réponse théologique à l’effondrement en cours. Et pas les plus religieux que l’on pense. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas clairement fixer les limites des réponses que l’on donne aux épreuves qu’on rencontre. Citoyens et États, Nature sacrée et sagesse des Primitifs, forment deux réponses distinctes, parfois adverses, parfois alliées. Montrer clairement dans quelles limites, domaines ou périmètres, elles agissent (sans préjuger de la qualité de leurs effets), est une manière de mettre à nu les lieux et les temps où l’on peut poser les problèmes autrement.
— Mais qu’est-ce que tu racontes encore ? Ça sonne toujours aussi fumeux, même inquiétant. Tu as au moins un exemple ?
— Je crois que c’est dans la sauvagerie, extérieure à toute cité (même si elle s’est souvent retrouvée enfermée dedans) et dangereuse à toute vénération (même s’il y en a toujours qui tendent la main) que je zone depuis longtemps. Car on en est là, aujourd’hui, à l’heure des portes fermées de clim’ de magasins et des aides à la pompe, à ne plus pouvoir se contenter de chercher des réponses mais à devoir, au contraire, commencer à chercher les problèmes.