On se lève !

En passant

On ne peut plus tranquille, allongé sur un bon fauteuil, la tête inclinée vers le ciel, j’écoutais le concert. Tout le monde dans le même cas. Quelques-uns se lèvent, je ne bronche pas, réjouis que ça prenne. On me dit, allez on se lève, on ne vit qu’une seule fois.

On se lève… On se lève… Non, je ne me lève pas, mademoiselle, comme si quand on essaie de penser et d’écrire, on ne le savait pas déjà qu’on ne vit qu’une seule fois, comme s’il ne fallait pas arracher tous les jours quelques heures au sommeil pour inventer d’autres vies dans une seule, comme si quand on quittait sa page griffonnée, brouillonnée, au matin, pour aller faire ce qu’on doit pour revenir le soir à sa page, on ne savait pas que ce bout de texte pourrait en rester là, inachevé, abandonné, en souffrance : feuille à peine dégrossie au lieu de cette lame qu’on voudrait assez fine pour couper même l’épaisseur des silences.

Je ne me lèverai donc pas, mademoiselle, pas même le petit doigt.

Un prophète

En passant

Un prophète s’apparente à un être blessé de ne pas avoir vu ce qu’il avait à voir quelque part. Quelque chose qui le regardait. Lui. Et peut-être d’autres encore autour et derrière. C’est quelqu’un qui essaie à tout prix de revoir ; de voir ce qui n’a pas encore été vu les dernières fois. Quelqu’un qui regarde sans cesse au-delà, plonge ses yeux brûlés dans la nuit, cherche un jour impossible dans cette opacité qui l’abîme et l’accable. Quelqu’un pour qui la semaine ne compte jamais assez de jours pour que l’un d’entre eux se lève…

Visage nu

En passant

S’il y a une existence de l’âme, ce n’est autre que celle du visage. Or, comment imaginer l’équivalent d’une mort, du moment que l’atteinte au visage devient une des principales blessures du corps ?

Le visage regarde la mort. Ce qui veut dire que le visage a toujours la mort en face. Ou plutôt que le visage est toujours sous le regard de la mort. Chaque atteinte au visage est mortelle car déjà le visage est placé sous le regard de la mort. Chaque atteinte touche au crâne. Et ce regard, que les images romaines et chrétiennes dévoilent, que les images modèlent au dehors, se trouve constamment pointé, fixé, sous le visage, derrière lui. Les images recouvrent la surface du crâne, y dénudent un visage. Le regard de l’image transperce le visage que seule la mort, transmuant celui-ci en masque, fait ressortir sur les reliefs du crâne.

Regarder une image, c’est prendre le risque d’y perdre un visage.