Ecume

C’est une erreur de croire que l’écriture fragmentaire suppose derrière elle, ou vise à l’horizon, un texte accompli. Les blancs qu’elle laisse apparaître, auxquels elle refuse de donner des titres, ne sont pas les marques de l’inachèvement dans lequel elle aurait laissé, complaisamment, son travail, pris encore dans le flux de son inspiration, ni même le signe dispersé d’un désœuvrement volontaire (autre action concurrente dans l’espoir de ruiner l’œuvre) ; elles sont la marque d’un rythme. Celui des vagues me convient le mieux, des rouleaux verts et blancs déferlant sur la plage, avançant progressivement sur le sable, s’y enfonçant, s’y diffusant, échangeant parfois l’éclat coupant d’une bouteille en verre contre le corps bientôt noyé d’un nageur imprudent. Sans doute l’œuvre humaine est là, toute proche, aux limites des terres, présence hautaine que la mer menace quand elle se fait tempête. Mais avant la destruction de ces bâtisses humaines que sont les objets de l’Art (car l’Art étouffe s’il est visé en tant que tel) il y a l’érection des dunes que l’amoncellement insensible des marées réalise. Le blanc des pages qui s’étale sous mes yeux est celui de l’écume.

Une langue épaisse

En passant

Les images qui veillent au fond du langage, que le rêve n’éveille pas mais voue au contraire au sommeil, contractent nos possibilités de langage : elles ramassent les mots qui nous viennent du fond de la gorge, en resserrent le nombre, en pressent la substance, et les jettent au milieu d’autres images, elles aussi transparentes et invisibles, mais sur lesquelles cette fois, ces mots dureront un peu plus que le souffle qui les a lancés hors du corps qui les avait, un jour, le temps d’une nuit de songes, accueillis. Les métaphores, métonymies et tant d’autres tours de langage ne sont pas des images déposées au fond d’une langue qui devrait s’en défaire pour enfin parler clairement : elles sont à l’inverse l’épaisseur même du langage. Ces figures et les différences qu’elles autorisent dans l’emploi répété d’un même mot sont le parcours buissonnant de ces images empilées, écrasées, les unes sur les autres.

Plume Indienne

Citation

Vous qui voulez écrire des hommes, transportez-vous dans les déserts, redevenez un instant un enfant de la nature ; alors, et seulement alors, prenez la plume.

  Chateaubriand, Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes considérées dans leurs rapports avec la Révolution française