Fatigué d’entendre si souvent répétée cette béate dialectique du maître et de l’esclave entre l’homme et la machine, comme si le problème n’était pas plutôt entre les hommes eux-mêmes, ceux qui les construisent et savent les conduire et ceux qui les reçoivent et ne peuvent qu’en user. Il existe une lutte perpétuelle entre ingénieurs et bricoleurs que tous les mécaniciens, techniciens radio ou bidouilleurs informatiques connaissent bien. Toutes les machines qui sont mises à notre disposition, et qui nous encombrent, nous handicapent, dès que nous n’acceptons plus de suivre le courant technologique qui nous les ramène, se dressent effectivement devant nous et nous abêtissent quand, ne sachant rien faire d’autre que d’allumer un ou deux boutons, nous leur jetons un grand coup de pied dans le caisson — la légende voulant, alors, que la machine obéisse et réponde : brutalité, sans doute, que l’on voudrait comique. Mais cette situation n’est pas ce drame dont on nous rebat les oreilles, elle est plutôt cette impasse vers laquelle on guide systématiquement les utilisateurs en leur limitant au maximum l’accès à l’intérieur des machines, empreignant celui-ci d’opacité et de mystère. Il existe de nos jours un mysticisme rampant de la machine, expliquant le fait qu’on y redoute le jaillissement d’une âme nouvelle. L’ancien mystère craignant le prochain. Et s’il est une chose, tout de même, qu’il faut concéder à cette inquiétude, un point qu’il faut prendre au sérieux avec elle, c’est cet étroit rapport, trop exagéré sans doute, qui se noue entre les organismes humains et les machines : rapports morphologiques avec les greffes d’organes artificiels, rapports dynamiques avec tous les moteurs qui nous secondent, rapports cinétiques avec tous les véhicules que nous empruntons, rapports enfin dimensionnels avec tous les instruments qui nous environnent et nous font passer dans des échelles d’espace et de temps extrêmement variées. De nombreux philosophes, écrivains, cinéastes, essaient aujourd’hui d’éclaircir nos vues sur ce phénomène, et plutôt que d’opposer frontalement l’humain à la technique, ils essaient plutôt de définir entre les deux différents modes d’intégration corporelles, montrant ainsi qu’il n’y a jamais eu, à l’état séparé du moins, d’Homme et de Machine.
Quel homme n’a jamais machiné quelque chose en lui-même ?