Merveille des merveilles

MirabiliaL’excellente revue papier Mirabilia, qui en est déjà à son cinquième numéro, consacre ses pages aux formes diverses du Merveilleux : sources, frayeurs, oiseaux, miroirs. Et ses membres ont eu également la bonne idée de lancer une enquête à ce propos dont vous trouverez ici les premières réponses. En attendant de découvrir les vôtres, un jour, je cherche la mienne tant bien que mal.

1/ Sous quelle(s) forme(s), selon vous, le merveilleux se révèle-t-il aujourd’hui ?

Le problème du merveilleux vient de ce qu’il se révèle, justement, mais ne se montre plus. Qu’il y faut donc une parole qui l’éveille et le découvre afin de pouvoir, sinon le voir, du moins rappeler au jour son existence. Ceci étant dit, il me semble qu’il se montre à nous dans toutes les occasions où la richesse du monde devient perceptible. Dans une époque où tout est mis sous le signe de la rareté, de la nécessité et du choix, c’est-à-dire de l’appauvrissement généralisé, (aussi bien dans les sphères de l’économie que de la contr’économie), la luxuriance, la diversité, l’abondance sont, à mes yeux, la pointe même qui inscrit autour de nous les marques les plus subtiles du merveilleux.

2/ S’il en est un, dans quel domaine le merveilleux vous paraît-il le plus à même de se manifester ?

Je ne les vois plus, pour ma part, qu’enfermées entre les pages des livres (surtout les récits de voyage), le cadre des peintures et les écrans de cinéma, et je peine à voir sortir le merveilleux des limites de l’Art. J’attends de voir un jour un véritable carnaval dans les pays d’Amérique où s’est conservée cette exubérante tradition, car les déguisements, la danse sans fin et les chants sont l’expression d’un luxe de vies, de matières et de figures qui appartiennent au monde même.

3/ Vous est-il arrivé d’éprouver une sensation que vous qualifiriez, au sens propre du terme, d’émerveillement – surprise, stupeur, émoi… Pourriez-vous en préciser les circonstances ?

Promenade autour d’une table de librairie. Un livre de photographies. Sur la couverture est fixée l’image en couleur d’un être à la forme humaine mais aux dimensions élargies, le corps couvert d’un déguisement ou d’une peau faite de grands poils de laine blanche tombant sur le sol. L’image décolle, me saute aux yeux : j’ouvre. À l’intérieur se trouve le répertoire en couleur de ces costumes, fabriqués encore aujourd’hui dans de nombreux pays d’Europe, qui figurent les fameux Hommes sauvages qui animaient les carnavals et les théâtres de rue de l’époque médiévale. Ce n’était pas un temps retrouvé, ni même la poussée de racines toujours actuelles, toujours vivaces, mais l’expérience d’un entêtement du temps, sans but et sans visée, l’impression d’une force n’en finissant pas de se déployer et me traversant soudain. J’eus le désir, à ce moment, de me costumer moi aussi, de changer de figure.

4/ Si vous deviez émerveiller l’être aimé, un(e) ami(e), un enfant, que feriez-vous ?

Émerveiller les autres, et spécifiquement ceux que l’on aime, c’est sans doute ce que l’on désire quand on cherche de quelle façon partager des plaisirs silencieux : jouir de la même vision sans se dire un mot. Je crois que je chercherais l’image la plus familière que cette personne connaisse : une vieille carte postale, le décor d’une ville dans un feuilleton, la voix d’un homme ou d’une femme à la radio, et je ferais ce que je peux pour que cette personne tant aimée puisse voir ce que cette image représente en chair et en os. Ainsi l’impression que je recueillis au volant de ces modèles de voitures américains que j’avais vus seulement, jusque-là, briller à la surface du petit écran.

Nos occupations

En passant

Souvenir d’une discussion amicale avec Daniel Bensaïd sur les formes de l’action politique : il faisait dépendre la conduite d’une action efficace et continue d’un rassemblement permanent, c’est-à-dire d’un Parti au contenu renouvelé. Je faisais valoir, non pas contre, mais aux côtés de cette forme qui, d’un caractère d’assemblée publique vire peu à peu à celui d’un bureau d’administration, les villes éphémères, ruinées aussitôt qu’élevées, ouvertes lors des contre-sommets réunissant les Grands de ce monde. Forme transitoire (peu suspecte de ces longues et lentes dégradations qui fondent le jeu et travestissement idéologique), forme d’implication directe (dès l’aménagement du lieu), forme mobile (elle peut se poser face au Souverain partout où il se déplace) : cette cité existe en acte et ne sert plus à préparer la venue d’une autre, comme dans le cas du Parti. Les événements de Tunisie, ceux survenus en Égypte sur la place Tahrir, en Ukraine sur la place de l’Indépendance – les noms des lieux de mémoire ont une importance – les mouvements des Indignés, d’Occupy Wall Street, montrent l’insistance, peut-être même le développement, de cette forme de combat politique : l’émergence d’une cité de transit, de passage, au milieu d’un territoire étatique. Renouveau de la place publique.