D’autres pensées sont comme des lames de fond qui vous soulèvent et vous font tanguer et vous font dériver sur un océan inconnu, sans repères et sans cartes – du moins de ceux et de celles qui sont parfaitement tracés. Et en ce lieu d’errance et de divagation, il n’y a que des fictions qui puissent vous guider, et donner un cap ; non pas tout à fait des histoires, ni même des fables, mais plutôt de vagues coordonnées d’espace et de temps, de minces trames flottantes pour continuer le chemin. Un radeau de fortune. On y trouve alors de ces textes qui sont comme de maigres îlots où l’on échoue sans savoir où et comment il est possible de s’y reposer, de s’y réfugier : jungles sévères, sinistres landes, rivages cadenassés… Mais qu’importe. On y pénètre peu à peu, et on y boit la fraîcheur à peine filtrée de phrases jaillissant d’entre les rochers, brisant et concassant les mots qu’elles emportent en autant de cailloux qui basculent et qui roulent, avant qu’ils ne s’entassent bientôt, qu’ils étanchent pour toujours la source trouble qui les alimentait : le ruisseau est tari. On y rencontre cependant, autour, des personnages improbables, qui, s’ils se montrent parfois muets, à d’autres moments vous rapportent de si belles légendes qu’on boira goulûment leurs paroles pour leur faire honneur. On écoutera leurs chants et leurs contes sans pour une fois douter d’eux. Proche d’un état de paresse, léthargie, passager. Car l’heure du départ sera déjà de retour, le port fantasmé plus très loin, et une fois reposé un pied sur la terre, il sera temps de faire l’inventaire de ce que nous aurons glané, le long de ce grand circuit déchiré : faire le compte des découvertes, estimer les trésors recueillis et volés. Alors, il n’y aura plus rien à se ressouvenir : paré de la grande nostalgie de ceux que la terre refuse de laisser partir, et retient contre leur gré, il restera à quérir le sommet des glaciers, et attendre l’instant, idéal, où les glaces étincelantes du gel viennent à glisser, s’effondrer, et nourrissent alors, à grands goulées, les torrents de toutes sortes d’idées. →