L’abbé collecte les nombreuses versions des récits de vampires et les confronte aux textes de l’antiquité grecque et romaine, païens et sacrés, pour chercher de possibles antécédents. Si des témoins passés attestaient d’un événement similaire, l’invraisemblance de l’affaire pourrait être atténuée et mieux appréhendée. « Mon but n’est point de fomenter la superstition, ni d’entretenir la vaine curiosité des Visionnaires, & de ceux qui croyent sans examen tout ce qu’on leur raconte, dès qu’ils y trouvent du merveilleux & du surnaturel. Je n’écris que pour des esprits raisonnables & non prévenus, qui examinent les choses sérieusement & de sang-froid ; je ne parle que pour ceux, qui ne donnent leur consentement aux vérités connues, qu’avec maturité, qui sçavent douter dans les choses incertaines, suspendre leur jugement dans les choses douteuses, & nier ce qui est manifestement faux » [1]. Ce faisant, en interrogeant les textes qui font autorité par leur sérieux, il prend le risque de les discréditer et lui avec, s’il s’avérait que des témoins dignes de foi confirmaient une partie des récits contemporains : « Je sens bien que je m’expose à la critique, & peut-être à la risée de bien des Lecteurs, qui regardent cette matière comme usée & décriée dans l’esprit des Philosophes, des Savans, & de plusieurs Théologiens : je ne dois pas compter non plus sur l’approbation du peuple, que son peu de discernement empêche d’être Juge compétent dans cette matière »[2].
La défiance de Calmet n’intervient pas quand les choses évidentes s’obscurcissent, se voilent ou semblent recouvertes de couleurs irréelles, contrairement à Voltaire qui fait montre d’un scepticisme crépusculaire. Quand la lumière du jour ne transperce plus le cœur sombre des choses, que la nuit tombe et estompe peu à peu leur présence rassurante, celui-ci cherche un fondement solide et grave sur lequel faire reposer le masque frivole des vampires. Calmet, lui, attend le moment où les choses, usées par les sarcasmes, les rires et le mépris, éclatent en chaque parole sous un profil, un aspect discret, que nul discours ne peut recomposer sous un visage unique et connu.
Ces aspects sont alors la chose elle-même mais dépliée sur plusieurs faces : « La matière des Revenans ayant fait dans le monde autant de bruit qu’elle en a fait, il n’est pas surprenant que l’on ait formé tant de divers systêmes, & qu’on ait proposé tant de manières pour expliquer leur retour & leurs opérations » [3]. Aussi, les vampires se présenteront tour à tour comme chimère, apparence, miracle ou maléfice, quatre facettes du même objet que nous exposerons dans un ordre simplifié tant le traité de Calmet, par ses nombreux allers et retours, est d’une lecture compliquée.
1- Des témoignages assurent que des êtres vont et viennent entre la surface de la terre et ses profondeurs : au cœur des cimetières, des sépultures s’entrouvrent et dans le passage ainsi libéré, les vivants et les morts entrent dans de nouveaux rapports. Ces êtres qui reviennent parmi les vivants, ne restent guère auprès d’eux et repartent au bout de quelques heures d’où ils sont venus. Ils s’opposent en cela aux fantômes qui partagent le même espace que les hommes même s’ils ne hantent que des lieux en marge ou abandonnés d’eux. Mais comme les spectres, les vampires sont des êtres du retour, des revenants.
Leur apparition prend la forme d’un cycle incessant dont les boucles repassent invariablement par le même point : l’espace sacré du tombeau. Ordre rassurant, en somme, qui n’inquiéterait que peu les vivants s’il ne portait en lui d’autres troubles. Trouble de cet événement improbable, voire impossible, qui joue avec les limites des pouvoirs humains. De quelle manière, en effet, « un corps couvert de quatre ou cinq pieds de terre, n’ayant aucun jeu pour se mouvoir & se débarrasser, enveloppé de linges, couvert d’ais, peut-il se faire jour & revenir sur la terre, & y causer les effets que l’on en raconte ; & comment après cela retourne-t-il en son premier état, & rentre-t-il sous la terre »[4], si ce n’est pas le biais d’une force peu commune. Trouble également du partage entre le sacré et le profane. Car aussi étrange que cela paraisse, le passage des vampires dans le monde des vivants est un acte de profanation. La terre du repos n’est plus dérangée du dehors, par les vivants, le sens de la menace s’inverse et monte à présent des profondeurs. L’ordre divin règne ici-bas mais des bas-fonds gronde une nouvelle contestation.
Ces Apparitions, en vertu de lois physiques et religieuses, ne devraient pas voir le jour et rester à jamais dans la nuit des tombeaux. Paradoxalement, c’est le constat que font les témoins car ils ne mentionnent aucune des traces, une terre fraîchement remuée, un cercueil béant, qui vérifieraient la réalité de leur effraction. Comment alors sortir des « tombeaux sans ouvrir la terre, & comment y rentrer sans qu’il y paraisse » [5] si les nécropoles elles-mêmes n’étaient les complices des vampires ? Dans un étrange battement, elles s’ouvrent pour libérer leur retour et se referment sur eux en effaçant leur brève irruption. S’il n’y avait le vacarme qu’ils portent chez les vivants, leur fugitif séjour s’évanouirait comme un rêve ou un cauchemar d’enfant, aucune empreinte ne resterait de leur passage. Mais voilà, ici et là, sans prévenir, cet être « va la nuit embrasser et serrer violemment ses proches ou ses amis, & leur suce le sang jusqu’à les affaiblir, les exténuer & leur causer enfin la mort »[6]. Il ne se satisfait pas de visiter les vivants, il les entraîne avec lui pour qu’ils l’accompagnent dans la mort et cette « persécution ne s’arrête pas à une seule personne ; elle s’étend jusqu’à la dernière personne de la famille » [7]. Le cycle infernal pourrait alors indéfiniment se répéter, chaque homme soustrait à la vie deviendrait à son tour un vampire. On verrait alors les apparitions se multiplier et s’intensifier d’elles-mêmes et bientôt les morts surpasseraient en nombre le reste des hommes « à moins qu’on n’en interrompe le cours en coupant la tête, ou en ouvrant le cœur du Revenant » [8].
On comprend maintenant pourquoi les autorités judiciaires ont pris cette affaire au sérieux, dépêché des magistrats, auditionné les témoins et armé les bourreaux pour « se délivrer de leurs dangereuses visites & de leurs infestations »[9]. En profanant à leur tour la dernière demeure des défunts, ils n’avouaient pas leur crédulité mais ils calculaient ce que leur coûterait leur aveuglement. Il y a bien peu de chances que les récits de vampires soient vrais mais s’ils le sont, les conséquences en seraient désastreuses : la terre finirait par ressembler à une immense nécropole abritant les morts et attendant patiemment les survivants. Il faut donc rester sourd au plus vraisemblable pour que l’incroyable ne puisse un jour se réaliser.
2- Ce n’est qu’en « les déterrant, en leur coupant la tête, en les empalant, ou les brûlant, ou leur perçant le cœur » [10], que les vampires finissent par disparaître. Phénomène étrange que de les voir ainsi suppliciés à la manière des vivants et accepter du même coup de perdre leur nouvelle liberté. Car après tout, que peuvent-ils craindre s’ils ont déjà perdu la vie ? A moins qu’ils ne soient pas vraiment morts ? Sur de nombreux corps exhumés « l’on trouve encore des signes de vie » [11], ils poussent même des cris quand on leur enfonce un pieu dans le cœur. C’est d’ailleurs sur ces signes que les autorités fondent leur jugement, car « on cite & on entend les témoins ; on examine les raisons » mais « on considère les corps exhumés, pour voir si l’on y trouve les marques ordinaires, qui font conjecturer que ce sont ceux qui molestent les vivans, comme la mobilité, la souplesse dans les membres, la fluidité dans le sang, l’incorruption dans les chairs. Si ces marques se rencontrent, on les livre au bourreau, qui les brûle » [12].
Si les vampires sont bien vivants en sortant de leurs tombes, ils ne sont plus tout à fait des revenants. En effet, ils se reconnaissaient à un double retour, ils revenaient des morts parmi les vivants et repartaient ensuite retrouver les autres défunts. A présent, rien n’explique pourquoi ils ne restent pas parmi les leurs et rien n’empêche également de penser qu’ils étaient vivants avant même de sortir de leur cercueil. Aussi, seule cette première évasion pourrait être qualifiée de retour mais sous quelle forme : ces « revenans se réveillent-ils simplement de leur sommeil, ou reprennent-ils leurs esprits, comme ceux qui sont tombés en syncope, en faiblesse, ou en défaillance, & qui au bout d’un certain temps reviennent naturellement à eux-mêmes, lorsque le sang & les esprits animaux ont repris leur cours & leur mouvement naturel ? » [13]. Quoi qu’il en soit, leur retour ne serait plus celui de la mort à la vie puisque à travers eux c’est la vie qui revient à elle-même. On pourrait donc « croire, que les Vampires de Hongrie, de Silésie & de Moravie, sont (…) comme ces oiseaux qui s’enfoncent pendant l’hiver dans les lacs ou les marais de la Pologne & des pays Septentrionaux ? Ils sont sans respiration & sans mouvement, mais non toutefois sans vie. Ils reprennent leur mouvement et leur activité, lorsqu’au retour du printemps le Soleil échauffe les eaux, ou lorsqu’on les approche d’un feu modéré, ou qu’on les apporte dans un poële échauffé d’une chaleur tempérée : alors on les voit revivre & leurs fonctions ordinaires, que le froid avait suspendues » [14]. Leur venue serait donc assujettie à une sorte de cycle naturel, commandée par de simples causes physique, il n’y aurait plus « rien de merveilleux dans leur retour au monde, que la manière dont il se fait, & les circonstances dont il est accompagné » [15].
Soit, mais comment expliquer ensuite qu’ils aient été bannis vivants dans le monde des morts ? Il est vrai que quelquefois « le corps sans être mort, & sans être abandonné de son ame raisonnable, demeure comme mort & sans mouvement, du moins avec un mouvement si lent, & une respiration si faible, qu’elle est presque imperceptible, comme il arrive dans la pamoison, dans la syncope, dans certaines maladies assez communes aux femmes, dans l’extase » [16]. La vie connaît de nombreux états tels que l’extase, la syncope, la léthargie ou le sommeil dans lesquels elle devient imperceptible. Les individus mis en terre portaient probablement le masque trompeur de la mort. Sauf qu’aucun témoin ne rapporte si les victimes avant leur inhumation portaient les marques positives du trépas et comme l’examen des vampires condamnés le démontre, leurs corps ne ressemblent en rien à des cadavres. Rien n’indique que les vivants aient pu confondre les êtres qu’ils ont enterrés avec des cadavres. Les vampires se différencient des autres morts-vivants chez qui les signes de vie et de mort se présentent simultanément au regard déjouant toute possibilité de trancher sur la nature de leur être. En effet, ce n’est pas la mort qui a trompé les paysans et les villageois apeurés mais la vie, qui, en ne manifestant plus sa présence de manière éclatante, n’a laissé d’elle-même que des signes superficiels ne trahissant que très mal son retrait dans les profondeurs du corps. Les vivants n’ont pas vu des traces de corruption, signe d’une mort à l’œuvre mais la vie qui n’était plus que l’apparence d’elle-même. Et ils ont conclu de ce fantôme de vie une disparition totale, une absence complète du corps, comme si l’éclipse des signes de vie pointait irréversiblement vers une seule issue : la mort. En somme, dans le creux, le vide que ménage la vie entre l’affirmation de sa pleine vigueur et l’évanouissement de sa présence, ils ont lu et cru l’impossibilité du retour. L’ironie malheureuse étant que la justice doublera cette première méprise d’une condamnation à mort, comme si les vampires libérés de la tombe devaient confirmer à nouveau le premier verdict. Erreur innocente ou dissimulation malfaisante, cet exil forcé rapprochera tellement le destin des vivants et des morts que les vampires finiront par réellement mourir. Aussi dans un premier temps, la scène où se manifestaient les vampires, le théâtre macabre de leurs apparitions et disparitions, était réglé par le jeu d’une double profanation, la leur et celle des hommes, elle se déroule cette fois entre deux meurtres, aveugles ou clairvoyants.
3- Les cimetières de Hongrie, de Pologne et d’ailleurs regorgent donc d’êtres condamnés deux fois à la mort. Aussi, dans un premier temps, ne s’agit-il pas d’un retour à la vie puisqu’elle celle-ci ne s’est jamais perdue mais simplement retrouvée dans un lieu inhabituel. Et c’est parce que la vie se confond avec une âme invisible, qui constitue le principe vital du corps, que sont possibles toutes les confusions sur son état : la vie peut avoir disparue sans pourtant cesser parce que l’âme peut végéter en silence et se dissimuler dans le corps. Il faut toutefois que ce dernier soit bien conservé pour que l’âme se manifeste à nouveau. Or, à ce sujet, le rôle du tombeau est double. Il arrive parfois qu’un corps « demeure sans corruption pendant plusieurs années, ou même plusieurs siècles, soit par un effet de son bon tempérament, comme dans Hector & dans Alexandre le Grand, qui demeurent plusieurs jours sans corruption, ou par le moyen de l’art de l’embaumement, ou enfin par la qualité du terrain où ils sont enterrés, qui a la faculté de dessécher l’humidité radicale, & les principes de la corruption » [17]. Mais les vampires ont beau présenter des signes de vie, indiquer que le souffle d’une âme les anime encore, cela n’enlève rien au fait que des individus « qui étaient enterrés quelquefois depuis plusieurs mois, ou même depuis plusieurs années (…) auraient dû être étouffés dans leurs tombeaux, quand ils auraient été enterrés tout vivans » [18]. Un corps enseveli, même bien conservé, ne portant aucun des stigmates courants de la mort, ongles et cheveux démesurément allongés, ceux-là même qui donnent l’apparence d’une vie après la mort, devient pour son âme un second tombeau. Elle n’a pas le pouvoir de ranimer un tel corps par ses seules forces. Enseveli vivant ou mort, l’âme immatérielle et incorruptible doit quitter son corps attendant le jugement qui décidera si c’est avec joie ou regret.
Et pourtant, tout indique que l’âme et le corps de ces individus ont été à nouveau réunis. Car ces « personnes reviennent dans leur propres corps ; on les voit, on les connaît, on les exhume, on leur fait leur procès, on les ampale, on leur coupe la tête, on les brûle. Il est donc non seulement possible, mais très-vrai & très-réel, qu’ils apparaissent dans leurs propres corps » [19]. Les vampires, en visitant les hommes qui leur étaient proches de leur vivant, indiquent une mémoire de soi dont le corps n’est pas capable. Et puisque l’âme n’a pas le pouvoir suffisant pour ranimer un cadavre, c’est donc que celui-ci a été ressuscité. Or, il faut poser comme « principe indubitable, que la Résurrection d’un mort vraiment mort est l’effet de la seule puissance de Dieu. Nul homme ne peut ni se ressusciter, ni rendre la vie à un autre homme, sans un miracle visible. Jesus-Christ s’est ressuscité, comme il l’avait promis : il l’a fait par sa propre vertu ; il l’a fait avec des circonstances toutes miraculeuses. S’il était ressuscité aussi-tôt qu’il fut descendu de la Croix, l’on aurait pû croire qu’il n’était pas bien mort, qu’il restait encore en lui des semences de vie, qu’on aurait pû le réveiller en le réchauffant, ou en lui donnant des cordiaux & quelque chose capable de faire revenir ses esprits » [20]. Dans ce cas, pourquoi Dieu aurait-il accepté de transgresser les lois naturelles qu’il a lui-même fixées, en opérant ce miracle ? Non pas que cet événement soit rare : « Toutes les vies de Saints sont pleines de Résurrections de morts ; on pourrait en composer de gros volumes » [21] mais d’abord, les résurrections momentanées comme celles des vampires sont moins fréquentes et se font généralement « seulement pour manifester la puissance de Dieu ; afin de rendre témoignage à la vérité & à l’innocence, ou de soûtenir la créance de l’Eglise contre des hérétiques obstinés » [22].
Or « les Vampires ou Revenans ne parlent jamais de l’autre vie, ne demandent ni Messes ni prieres, ne donnent aucun avis aux vivans pour les porter à la correction de leurs mœurs, ni pour les amener à une meilleure vie. C’est assurément un grand préjugé contre la réalité de leur retour de l’autre monde » [23]. Il n’y a pas de raison que ce soit pour leur vertu que les morts sont ainsi rappelés à la vie, encore moins pour y accomplir quelque action de grâce. C’est même tout le contraire puisque les vampires « sucent tout le sang des vivans, ensorte que ceux-ci s’exténuent à vue d’œil, au-lieu que les cadavres, comme des sang-sues, se remplissent de sang en telle abondance, qu’on le voit sortir par les conduits, & même par les porres » [24].
Quel est donc le sens de leur résurrection ? Dans quel but Dieu aurait-il permis que les morts puissent venir ainsi ôter la vie aux vivants et de cette manière ? Ne croyons pas trop vite que le festin sanglant auxquels les revenants se livrent exprime une conduite dominée par la nécessité de survivre. Le sang volé n’a aucun pouvoir vital puisque c’est l’âme seule qui anime les corps, il est tout au plus le signe le plus tangible de la vitalité, son image matérielle. De plus, que serait une résurrection qui ne s’exercerait qu’à moitié, qui ne laisserait qu’une demi-vie à celui qu’elle sauve ? Les êtres arrachés à la mort redeviennent bien mortels comme tous les vivants et comme eux ne devraient en principe n’avoir nul besoin de remplir leur corps d’une telle sève. Le sang en abondance que les autorités retrouvent dans les cercueils ne semble pas contenu par le corps du vampire et destiné à y rester puisqu’il s’échappe de tous bords. Ce ruissellement de sang signifie à coup sûr la vie mais manifeste plutôt sa perte que sa présence : en somme, ce sang débordant du corps met en scène un crime. Serait-ce alors le premier crime qui les a jetés dans la fosse ? Le sang étalé dévoilerait alors, d’une manière encore obscure mais claire à qui sait lire, que cette erreur n’en était pas une. Serait-ce plutôt les vampires qui, coupables de leur vivant d’une faute majeure, commettraient un second crime sans oublier d’en emporter la preuve avec eux ? Ainsi, la culpabilité qui les étreignait jusqu’à dans la mort, avouerait son offense par le meurtre et trouverait sa punition dans le meurtre. Dans tous les cas, il faudrait bien admettre que l’âme tourmenté du défunt, alourdie par une faute secrète, la sienne ou celle d’un autre, aurait refusé de quitter son corps sans accepter d’en faire pour autant son tombeau.
Le miracle divin deviendrait plus compréhensible : la profanation des tombeaux serait une levée du secret, la souillure des tombes serait le premier signe du trouble qui altère le repos de certains morts. Mais enfin, peut-on imaginer que la justice de Dieu puisse utiliser de tels expédients ? Que le « Démon, & même un bon Ange, par la permission ou le commandement de Dieu, puissent ôter la vie à un homme ; la chose paraît indubitable » [25].
4- Mais on a beau tourner le problème dans tous les sens, interroger cet acte, « on ne voit dans tout cet événement que l’ouvrage du mauvais Esprit », « Dieu ne paraît pas y avoir aucune part » [26].
C’est pourquoi certains hommes savants pensent que le Seigneur « pour donner aux hommes un exemple de sa juste vengeance, a permis au Démon de faire dans cette occasion ce qu’il n’a peut-être jamais fait, & ne fera jamais, de posséder un corps, & de lui servir en quelque sorte d’âme, pour lui donner l’action & le mouvement pendant qu’il a pû conserver ce corps sans une trop grande corruption » [27]. Le démon deviendrait l’égal de Dieu en puissance. L’apparition des vampires ne viendrait plus seulement troubler les limites complexes entre la vie et la mort, la faute et l’innocence dans l’erreur mais aussi et surtout l’équilibre même entre les puissances qui gouvernent la création. Si « le Démon peut prendre la place d’une ame dans un corps nouvellement décédé, ou s’il peut y faire rentrer l’ame qui l’animait avant son décès, on ne pourra plus lui contester la puissance de rendre à un mort une espèce de vie; ce qui ferait une terrible tentation pour nous, qui serions portés à croire, que le Démon a un pouvoir, que la Religion ne nous permet pas de penser que Dieu partage avec aucun Etre créé » [28]. Dans ce mince événement sans gravité autre que quelques villageois apeurés ou assassinés, serait enveloppée une révélation assez radicale pour condamner quiconque l’assumerait en procès d’hérésie.
Et « il y a quelques savans qui ont crû que le Démon a le pouvoir de rendre la vie & de conserver de corruption pour un certain temps quelques corps » mais ils ont atténué cette affirmation en ne laissant au corps qu’une existence fantomatique. Les apparitions des vampires se justifieraient et bien que composées d’une matière extrêmement subtile, elles deviendraient visibles et ressembleraient assez au corps du défunt «pour faire illusion aux hommes & leur causer de la frayeur » [29]. Car c’est le propre du démon de faire croire aux hommes qu’il peut accomplir les mêmes prodiges que Dieu alors que sa seule puissance, malgré tout bien réelle, est de frapper et de tromper les imaginations. «En examinant le récit de la mort des prétendus Martyrs du Vampirisme » on peut découvrir « les symptômes d’un fanatisme épidémique » et voir « que l’impression que la crainte fait sur eux, est la vraie cause de leur perte » [30]. La fascination mortelle que produit le démon sur les hommes peut s’exercer bien plus largement encore. En effet, dans la mesure où cette « fascination de quelque manière qu’on la conçoive, est certainement au dessus des forces ordinaires & connues des hommes » [31], le démon pourrait faire croire à sa propre présence alors qu’il n’y est pour rien dans l’affaire des vampires. « En supposant que leurs corps ne bougent de leurs tombeaux, que ce sont seulement leurs Fantômes qui apparaissent aux vivans, qu’elle sera la cause qui produira ces fantômes, qui les animera ? Sera-ce l’ame de ces défunts, qui ne les a pas encore abandonnés, ou quelque Démon, qui les fera paraître sous un corps emprunté & fantastique ; & si ce sont des corps fantastiques, comment viennent-ils sucer le sang des vivants ? Nous retombons toujours dans l’embarras » [32].
1. Calmet, Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires ou les revenans de Hongrie, de Moravie, etc., 1751, tome I, p. I-II. Retour au texte
2. ibid., tome I, p. I-II. Retour au texte
3. ibid., tome II, p. 197. Retour au texte
4. ibid., p. 254. Retour au texte
5. ibid., p. 9. Retour au texte
6. ibid., p. 60-61. Retour au texte
7. ibid., p. 60-61. Retour au texte
8. ibid., p. 60-61. Retour au texte
9. ibid., p. IV-V. Retour au texte
10. ibid., p. 2. Retour au texte
11. ibid., p. 7. Retour au texte
12. ibid., p. 36. Retour au texte
13. ibid., p. 8-9. Retour au texte
14. ibid., p. 251. Retour au texte
15. ibid., p. 8-9. Retour au texte
16. ibid., p. 224. Retour au texte
17. ibid. Retour au texte
18. ibid., p. 7. Retour au texte
19. ibid., p. 16. Retour au texte
20. ibid., p. 4-5. Retour au texte
21. ibid., p. 10. Retour au texte
22. ibid., p. 54. Retour au texte
23. ibid., p. 264. Retour au texte
24. ibid., p. 42. Retour au texte
25. ibid, p. 144. Retour au texte
26. ibid., p. 149-150. Retour au texte
27. ibid., p. 150. Retour au texte
28. ibid., p. 149-150. Retour au texte
29. ibid., p. 140. Retour au texte
30. ibid., p. 54. Retour au texte
31. ibid., p. 261. Retour au texte
32. ibid., p. 255. Retour au texte