Quand Manzarek retrouva Morrison sur la plage alors qu’il le croyait loin de L.A., Jim lui fredonna Moonlight Drive en fermant les yeux. Ray venait d’assister au premier concert des Doors.
Il ne nous reste aucune trace de cette représentation si ce n’est le témoignage de Morrison assurant à Manzarek qu’il entendait le concert tout entier dans sa tête. Le premier concert des Doors eut lieu dans la chambre noire et close du crâne d’un poète errant nourri au LSD. Car pour lui comme pour son ami et unique spectateur, tout se passa dans l’obscurité. Le témoignage de Jim est formel : la seule perception qui l’habitait était celle de la foule et de la musique accompagnant son poème ; perception sonore : une chanson noyée, huée, portée par la foule, que sais-je, mais pas encore de scène où elle put être manifeste, c’est-à-dire visible et audible à tout le monde.
Sous le soleil blanc de l’été californien, Jim noircissait ses carnets à longueur de journée. Sur les toits blanchis par le soleil de L.A., il matait les gens dans les rues, leurs maisons, leurs voitures. Astre sombre et voyeur.
Peut-être la scène de cette musique allait-elle sortir de là, de ces vues clandestines. Mais sortir n’est pas encore naître à soi-même : la jeunesse est tardive. Moonlight Drive, écrite probablement en 1965, apparut seulement sur le second album des Doors, scandée par le jeu bottle-neck de Robbie. Le guitariste fut un des grands artisans de la musique du groupe. Jim était fou de son jeu.
Ce jour inattendu sur Venice Beach, le jour où Manzarek reconnut Morrison, des portes furent ouvertes sur la musique des Doors mais personne, pas même Jim, ne pouvait encore la pénétrer complètement.