Le romantique ne connaît du présent que deux choses : les vestiges d’un ordre disparu (Ruines) ; les signes d’une décomposition en cours dont il connaît le terme (Symptômes). Pour lui le présent est fondamentalement désordre, défaut. Temps incomplet. Temps de l’inaccompli. Creusé d’une perpétuelle absence, il regarde la mort aussi bien du côté du passé que de l’avenir. Chaque chose naissante est pour lui en passe de disparaître, elle offre déjà son visage d’outre-tombe. Ci-gît sa mélancolie. Mais le présent est une voie toute aussi sûre vers la mort de par son anticipation permanente d’un futur sur lequel il n’a guère de prise. Chaque chose ancienne, chaque présence durable dans le monde annonce la mort ; une mort en action : corruption, dégradation, décadence. Aussi le seul futur qui lui échappe momentanément est-il celui d’une restauration d’un ordre ancien. Nostalgie revenant à Mélancolie qui observe la fuite du temps.
Le futur est sans nouveauté pour un(e) romantique. Il n’offre que le visage d’une mort certaine qui hante déjà le présent (il est réalisation d’un événement infiniment répété, d’un passé non révolu, d’un passé qui ne passe pas). Le futur entretient le rêve d’un retour de l’Ancien (il répète le passé mort, révolu, sous la forme d’une réanimation, reviviscence, résurrection). L’avenir est derrière nous, sous nos pas, au fond du passé.
Mélancolie et Nostalgie composent une seule et même forme de sensibilité au temps qui constitue l’expérience de vie romantique. Elles ne sont ni des maladies, ni des complexes éternels, mais des épreuves radicales d’un certaine issue fatale du monde.