Un événement, ou ce qui se fait jour de nuit : la venue dissimulant son issue et sa provenance…
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Guerre des mémoires IV
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Quelle était la forme la plus simple et la plus quotidienne sous laquelle, pendant plus d’un siècle on a pu vivre l’histoire ? Le progrès. « On croyait que demain serait mieux qu’aujourd’hui, et après-demain mieux qu’hier. On avait un avenir. Et un passé. On avait tout ce qu’il nous fallait! » Margarita Pogrebitskaïa, médecin, interviewé par Svetlana Alexievitch, La fin de l’homme rouge ou Le temps du désenchantement, 2013. L’Histoire se donnait dans cet enchaînement des jours, dans cette chronique intime des veilles et des lendemains. Erreur d’échelle que de croire la mémoire personnelle et l’Histoire anonyme ou collective. Celle-ci, en ce temps-là, assemblait la mémoire. Et quel que soit le régime.
Les mues de nos corps
La mémoire, du moins la capacité de se remémorer, dépend étroitement de certains lieux, de certains temps. Heures matinales ou endroits reculés, la souvenance est située. Et même volontaire, surtout volontaire, il lui faudra toujours se plier à certaines conditions pour se mettre en branle. Se recueillir notamment. Car les souvenirs qui sont les nôtres – plus états d’existence dans lesquels le passé domine qu’images en attente au fond du crâne – ne sont mémorisés, en capacité d’être appelés, qu’une fois déposés quelque part. Tant de nous mémorisent en s’arrachant à eux-mêmes et en se donnant en même temps la possibilité de revenir, ou de retrouver, ce qui a été séparé ou abandonné du présent. Partout dans l’environnement qui nous est le plus familier ont été peu à peu déposés signes et objets, gestes et traces : ce sont les marques autour de nous – les clés, les restes – de notre mémoire, des bouts de souvenirs. Mues de nos corps. Alors quand il n’est plus ou pas possible de se rendre au lieu et à l’heure où cette mémoire qui nous manque pourrait nous revenir, quand elle menace de se perdre, alors, nous inventons des fictions, nous fermons les yeux ou nous les plongeons hébétés par la fenêtre et nous feignons d’être d’un autre temps et d’ailleurs. Nous faisons revenir ce que nous ne pouvons plus retrouver de nous-mêmes. Nous les accueillons en terre d’utopie.
Je dis tant de nous, et non pas tous, car il y a tant de possibilités de se forger une mémoire. Nous n’avons plus l’âge de croire aux universelles psychologies.