Depuis quand cela nous est-il clamé aux oreilles que nous y sommes − ou presque −, qu’il n’y aura bientôt plus rien de sauvage sur cette planète ? Que le nombre des espèces diminue chaque jour, que l’étendue et la richesse des espaces ouverts décroissent, que les populations se rassemblent, se concentrent et s’étendent en bidonvilles toujours plus nombreux, que les compagnies dévastent sols et sous-sols sous les pleins feux du soleil et qu’enfin, dans le dérisoire cloisonnement de leurs parcs, les États protègent les derniers îlots de nature ? Le temps arrive, prochain, où il n’y aura plus d’expérience possible de la sauvagerie ; plus aucune forêt, réelle ou symbolique, où nous pourrions nous réfugier, nous libérer, nous isoler, nous égarer ou nous faire face. Tout subira et accomplira le destin de l’Occident : se tourner vers où le soleil se couche, décliner vers la nuit et disparaître.
Depuis quand ?
Probablement depuis l’instant où : la Révolution, à la fois fin des temps et nouvelle aurore, a cessé de faire entendre son appel, et laissé place aux sirènes hurlantes de l’Apocalypse et aux portes claquantes de la Catastrophe. Nous ne vivons plus guidés par les premiers rayons d’un jour radieux, d’un astre qui vient, nous sommes dorénavant installés dans un profond et lent crépuscule. L’Occident a donné à l’histoire du monde une nouvelle clôture, une nouvelle fin. Nous l’appelons Mondialisation.
Inutile d’essayer de faire taire ces sirènes, l’alarme qu’elles donnent à chaque seconde vient de partout et de nulle part. Seul suffira de faire entendre sous le bruit continu qu’elles émettent la présence discontinue d’un faible signal. Émettons. Émettons. Brouillons tout. Lançons nos interférences.