La limite du jour

En passant

Il me semble qu’il serait mesquin de définir le type de vérité que vise la sociologie par la seule objectivité de la science. Il me paraît plutôt que ce regard porté sur les hommes-qui-demeurent-associés parle aussi bien de qu’à partir de la fin d’un présent (que celui-ci ouvre un vide, libère d’une illusion ou marque un basculement). La sociologie annonce rarement des progrès mais plutôt des crises, des chutes, des pertes, des « inquiètements ». Et si elle se sépare de l’histoire (dont elle n’use que pour jeter un regard plus lointain), c’est en raison du temps précis qu’elle ne quitte pas des yeux : ce jour dans lequel nous baignons et pour lequel nous n’avons qu’une courte mémoire. La sociologie ne parle pas du jour d’avant mais de la fin du jour d’hui, de la nuit qui va suivre dont on ne saura pas sur-le-champ où elle pourra nous conduire. Chaque présent, sans doute, se double de son propre passé, précédent obscur et profond, mais aucun jour encore n’est venu qui pourrait les discerner, clarifier enfin ce qui reviendra à la nuit et restera dans le jour. Il faudra que ce temps qui s’enfuit passe la nuit. La sociologie scrute ces échappées qui trouent et dessinent en pointillés l’horizon. Des vérités qui sont encore celles du jour, jetant leurs lumières sur le monde, mais celles de son crépuscule : illusion de la liberté native, de la démocratisation, de l’inviolabilité de la conscience, de la contrainte naturelle, de la toute-puissance de l’État, etc. La liste est sans appel de retour. Le jour qu’elle réverbère et qu’elle répand, celui dans lequel elle prend appui est le crépuscule de ce jour, d’un jour qui se vide, qui se creuse, qui s’intensifie avant de sombrer dans la nuit. La sociologie ne parle que faussement, c’est-à-dire trop sérieusement, d’illusions, de jours, qui éblouissent, aveuglent ou émerveillent, puisqu’elle ne promet jamais aucune de sortie hors de la caverne ; elle ne parle que de ce qui est arrivé, part et se perd. Elle ne voit le jour qu’envahi et cerné, rattrapé par la nuit.

Et si la sociologie dévoile quelque chose, comme on l’a beaucoup dit, ce sont ces réalités qui se parent d’éternel et qu’elle saisit sous un jour déclinant, les voyant disparaître pour un temps. Un temps bien entendu indéfini.

 

L’essentiel

En passant

La détermination d’une essence exige d’établir une hiérarchie parmi les apparences. Mais l’erreur commence quand on ne voit l’essentiel que sous la forme d’un phénomène constant, fixe, inaltérable ou permanent ; alors que celui-ci peut se trouver aussi bien dans le plastique et le fluent.

Disons-le : l’essence est ce qui baigne les apparences, et qui n’attend qu’une étincelle pour toutes les consumer.

Une pensée de l’essence ne vaut qu’en vue d’un monde à embraser, à faire renaître de ses cendres.

S’exposer

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Perfection by Saint Huckljpg

Le scepticisme s’est longtemps entendu comme le doute, soit l’action plus ou moins étendue de suspension de toute position de pensée. Mais qu’est-ce que le sceptique au juste suspend ?

Tout ce qui protège les thèses d’une confrontation : les confirmations empiriques, les consentements collectifs, les approbations immédiates, les certitudes subjectives, les sérieuses négations. Tout ce qui soutient une proposition en lui donnant un solide fondement.

Le scepticisme expose ses affirmations à la contestation. Et met à nu la fragilité d’une parole pour en faire briller à nouveau le tranchant. Parler en sceptique ne revient pas à douter mais à se rendre éminemment critiquable.

Les propositions sceptiques sont les plus dangereuses des affirmations.