La nature couronnée

En passant

Crown by Shaer AhmedPeut-être était-ce cela le spectacle du sublime, la mise en scène d’une nature déchaînée capable d’engloutir ou d’écraser l’homme, un théâtre qui ne moquait en fait que la terreur de ce dernier, inquiet devant l’ampleur nouvelle des forces qu’il venait d’acquérir et trouvant là un moyen d’en jouir en toute tranquillité. Se retirer ainsi pour laisser paraître la souveraineté de la Nature (mais s’avancer en même temps au plus près pour s’incliner devant sa majesté, pour lui rendre hommage) était peut-être la façon romantique de mettre fin au règne de l’Homme (tel que le rêvait l’âge classique, comme un empire dans un empire), préparant dans le même temps, mais plus discrètement, la venue d’une nouvelle souveraineté humaine, plus sombre, plus laide, plus destructrice, que seul un lot de nature préservée pouvait encore consoler et maintenir auprès d’une certaine beauté.

Je suis un peuple en mouvement

En passant

Chacun appartient à un peuple sans terre, un groupe de corps vivants ayant pour caractère (imperceptible le plus souvent) une compréhension intuitive de l’espace et du temps. Il semble, pour ma part, que ce soit l’espace du retrait et de l’isolement qui me guide, tandis que le temps qui m’emporte serait plutôt celui de la veille : vigilance tardive autant que fuite dans l’antécédence obscure de l’avant. À partir de là se décident nos mouvements et nos déchirements ; le sort de nos rencontres ; le cas de nos évitements. À chacun de nos pas s’accomplit un voyage auquel survient un naufrage.

Acclimatation

En passant

Je ne sais encore si le Nouveau Monde est devenue, comme tant d’autres territoires occidentaux, une nouvelle terre de sauvagerie ou s’il fut brusquement peuplé de sauvages sur un sol qui ne l’était pas. Je ne sais, en quelque sorte, si les Sauvages ont cessé d’être ce qu’ils étaient en Europe, c’est-à-dire des hommes des bois, des hommes, réels ou imaginés peu importe, pour qui le lieu où l’on habite, où l’on séjourne, est indissociable de la façon dont on se présente. En Europe, la forêt décidait à la fois de leur nom et de leur aspect. Mais aux Amériques ? De tels êtres pouvaient-ils encore surgir du fond des nouveaux paysages ? Et si les paysages européens s’étaient transportés aussi loin, la forêt américaine avait-elle trouvé une place dans les paysages importés ?  Une place aussi importante que celle qu’elle avait en Europe ? Je me demande comment des sauvages ont pu apparaître dans le Nouveau Monde si le site qui les abritait d’ordinaire n’était plus en mesure de faire paysage ? Les Amériques ont-elles été ensauvagées comme en Europe ou les Sauvages ont trouvé dans un nouvel élément l’espace possible de leur manifestation ? Comment l’expérience de la sauvagerie s’est-elle adaptée à ce nouveau climat ?