Manifestes

Mis en avant

On a beau dire, on a beau faire, expliquer qu’il n’y a plus que ça à faire, qu’il y a bien d’autres choses, que bien d’autres choses ont été faites, depuis… depuis la guerre d’Algérie, l’après-68, les Boat-People, la marche des Beurs, le Sida, la crise du logement, les sans-papiers, le printemps Arabe, la Jungle. On n’entend pas. Il faut faire masse, il faut faire nombre, pas autrement et pas le choix, il faut faire ça.

Les manifestations tendent à l’inefficace. Deviennent des simulacres. Cérémonies. Funérailles. Processions sans lendemain. C’est la loi. C’est le cas. Les manifestes ont fait corps, et synthèse, entre la politique et l’art au long du XXsiècle. L’art divisait pour mieux rassembler. L’art s’annonçait pour mieux convoquer. L’art se manifestait pour ne pas se manquer.

Les manifestes ne servent plus. N’agissent pas. Très très bien. Temps de s’en emparer à nouveau ! D’autres collectifs, anonymes ou braillards, factices ou réels, y attendent, y préparent, leur destin. En voilà !

Les Turbulents

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L’expérience Hendrix

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The_Jimi_Hendrix_Experience.jpg_largeUn texte à la croisée des différentes expériences dont on essaie de faire entendre le langage : les aventures de Psyché et les formes positives et actuelles de sauvagerie.

… il était au faîte de son art, dans sa fleur, comme disent les poètes, et incarnait aux yeux des Anglais une façon tout autre d’être-à-la-musique.

Ce Noir, qui avait le cœur déchiqueté, leur apporta une musique d’une violence et d’une douceur incomparables, une musique plus farouche et plus douloureuse que toutes celles qu’ils avaient entendues jusqu’ici, une musique bien plus sophistiquée, plus retorse, plus indolente, et en même temps plus sauvage.

Une musique qui donna soudaine réalité au fantasme tenace que nourrissaient les Blancs d’Europe à propos des Noirs, à savoir qu’ils étaient des êtres au corps insoumis, animés de pulsions sexuelles que n’avaient pas contraintes les lois sociales, soustraits de la sorte aux freins de la morale, doués d’un génie rythmique exceptionnel, vous leur mettiez un tambourin entre les mains et hop c’était la rumba ! en un mot des primitifs pourvus d’un membre d’âne et d’une bouche assortie. Et cette primitivité supposée du nègre Hendrix, scandaleusement simplificatrice et grosse de dérives, séduisit infiniment les rockers anglais de l’époque, soucieux de se défaire de leur légendaire réserve british un-balai-dans-le-cul, et louchant du côté nègre afin de se salir un peu, de s’ensauvager un peu, de se noircir l’âme à défaut d’autre chose, et d’apparaître aux foules comme de très très dangereux individus !

L’Angleterre attendait son sauvage.

Hendrix vint l’incarner.

Hendrix qui apportait une façon tout autre d’être-à-la-musique, une façon plus féroce et charnelle (j’aurais dit plus viscérale si ce mot ne sentait pas les tripes), Hendrix donna vie comme aucun autre au corps contrôlé, au corps contrit, châtré, mutique des musiciens d’Europe, et fit exister comme aucun autre un corps sensuel, dépensier, exubérant, un corps enfin délivré de la tartufferie puritaine et qui s’abandonnait outrageusement à la volupté,

un corps dont la musique était le foutre et l’arbre nerveux, autrement dit l’âme,

un corps que la musique parcourait de part en part tel un sang vif et palpitant, ça se voyait,

un corps que la guitare faisait littéralement bander,

un corps qui bandait à la barbe d’une vieille société toute corsetée et rongée de frustrations,

un corps qui jouissait, ce fut là, sans aucun doute, le choc, un corps qui jouissait, qui prenait le droit exorbitant de jouir, et laissait surgir hors des entraves un mouvement sauvage d’exultation comme on ne le pensait pas convenable.

Lydie Salvayre, Hymne, 2011

Sylves en passage

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Webassociation des auteurs

Désorganisons le web littéraire, disséminons les écritures !

Dissémination de Mars

On appréciera peut-être pas le principe de l’anthologie qui va suivre. Non des œuvres mais des textes – ordonnés par le sens le plus simple de lecture ; non des extraits mais des énoncés – valant seulement par ceux qui les bordent – nouveau plan d’inscription. Et pourtant, moins un thème qui se développe, se précise (on le voudrait) qu’une configuration qui s’étoile (et se défait) en plusieurs sens : nudité, cruauté, solitude, la parole qui défaille. Événements infimes d’un monde (perdu dans combien d’autres mondes) dans lequel nous ne cessons de passer. Pour y laisser la peau, écumes et baves, quelques attaches aussi et pas mal de mots, de souvenirs, de promesses. Monde sauvage. Auquel on se frotte et s’écorche mais qu’on passe, entre les herses d’un langage invisible dessinées en ce lieu.

Il s’agit pourtant, par le jeu de cette franche découpe, de lire quelque chose des œuvres d’où ces textes sont issus, de manifester par leur exposition sélective et calculée un certain tracé dans leur livre – ce peut être un fil ténu ou discontinu qui traverse leur ouvrage mais qui ne fut jamais démêlé pour lui-même, ce peut être, au contraire, la surface miroitante que l’auteur constamment nous remet sous le nez et que nous négligeons, asphyxiés, avant de replonger respirer dans les profondeurs du livre.

Ce tracé est celui que laisse derrière lui, simple sillage, toute ombre de sauvagerie. L’expérience est vive mais fugace. Nous l’étudions depuis plusieurs années comme paysage, comme abri, comme refuge, comme enfer ; nous la méditons comme défi lancé à de nouvelles façons d’habiter l’espace et le temps ; nous examinons ses figures pour y lire ce que l’homme occidental, dans ses rapports aux autres et surtout à lui-même, ne dit pas sur le destin qui l’obsède. Étrange manie. Surtout si l’on se rappelle, une fois dégagée et mise de côté la tradition philosophique qui en valorise l’expérience, que la sauvagerie n’est rien de plus qu’une insulte, qu’une injure, un sarcasme, un outrage. La distance au bout de laquelle on s’expose à des mots devenus excréments et ordures, déjections et souillures. Des mots de rien, des mots sales. Dans la bouche de ceux qui l’ont proprement inventé, c’est une langue infamante : avec elle on méprise, on déshonore, on salit. Défigure. Et pourtant cette infamie a son histoire, ses dérives et ses pistes, ses moments de pente douce ou de chute profonde, ses instants de cassure ou de retournements. Ce sont les aspérités fragiles, les variations ténues de ce langage apparemment monotone que nous aimerions faire entendre. Parce qu’il parle de nous ; parce que même quand il parle du plus différent, il parle en même temps du plus profond de soi ; parce que ce langage n’a plus aucune vérité aujourd’hui, à peine d’existence, et qu’il devient pure fiction et qu’il est libre, à présent, de nous dire et de faire entendre autre chose du monde, des autres et de soi (de moins conquérant, de moins abject, de moins lénifiant aussi).

Dans les livres, nous marchons systématiquement – ou presque – sur ses traces. En voici le parcours.

Tous ceux qui voudront contribuer à l’assemblage de ces bribes seront les bienvenus. Merci.

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