Les désordres du temps

Image

On repère l’ordre le plus simple qui soit du temps par les mouvements qu’il recèle : le présent passe, le passé va, l’avenir vient. Il suffit de s’asseoir à une terrasse de café, d’observer les gens qui déboulent du coin de la rue et qui disparaissent à l’autre bout pour s’en assurer. Le temps nous est donné en pleine lumière dans les trajets des passants. L’espace donne lieu et figure aux trois dimensions du temps.

Mais que se passerait-il si ces correspondances, si cet espace-temps qui nous est si familier, commençait à se défaire, à se disloquer ? Je ne parle pas d’imaginer que le présent ne passe pas, nous en faisons si souvent l’expérience par l’ennui qu’il serait fastidieux d’en parler. Je ne pense pas plus au passé qui ne s’enfuit pas : les traumatismes, les fantômes ou les ruines sont là pour nous rappeler son insistance. Quand à l’avenir qui ne vient pas, l’impatience ou le désespoir de la Révolution et sans doute celui de la transition écologique, en ont donné et en donneront encore de nombreux exemples. Non, je parle plutôt de ces lieux, l’avenue, la passe, l’allée, dès lors qu’ils ne font plus signe vers leurs temps habituels. Des avenirs qui passent, des passés qui viennent, des présents qui vont, on sent que cela fait vibrer quelques cordes de nos plus sourdes expériences. Les possibilités qui se sont ouvertes à l’horizon dont nous n’avons rien fait, les souvenirs qui remontent soudain et nous plongent dans la honte, les mains qui se sont tendues et que nous avons serrées mais que l’on a jamais revues… Mais il ne s’agit là que d’un jeu de permutation. Quels seraient les verbes capables de signifier un véritable désordre du temps ? Quels seraient les lieux capables de renouveler la configuration de nos situations les plus ordinaires ? Faut-il en appeler aux aberrations du surréel pour en approcher l’existence ? Que serait la vie d’un présent qui coince, un passé qui frappe, un avenir qui ouvre ? Celle d’un avenir qui prie, un passé qui travaille, un présent qui lutte ? D’un passé qui voit, d’un avenir qui entend, d’un présent qui parle ?

N’y a-t-il, d’évidence, que la poésie qui puisse nous répondre ? Et si l’action politique avait à en dire aussi quelque chose ?

 

Irréguliers

En passant

Qu’un moment, on ait parlé de lois et maintenant plutôt de grammaire, il s’agit toujours du même constat : on est irréguliers de ne jamais vraiment savoir quelle règle on suit.

Là où hier

Mis en avant

Maintenant que l’histoire de notre espèce, et même de notre genre, a été encore une fois réécrite – cela dit pour ceux qui clament, pauvres d’esprit, que l’histoire se rédige une fois pour toutes – admettre qu’une séquence évolutive mènerait, directement ou pas, des « lois » biologiques aux règles socio-culturelles est de plus en plus difficile. Que l’on conçoive cette suite comme un simple transfert (les valeurs guerrières comme transposition sociale de pulsions masculines) ou comme une superposition déformante (les coutumes culinaires comme stylisations de besoins et de ressources alimentaires) ou même comme transformation (à la supposée promiscuité sexuelle primitive la loi de prohibition de l’inceste), nous avons affaire désormais, là où hier encore on s’imaginait trouver nos racines, à une culture pour deux espèces d’hominidés. De ce que les paléontologues peuvent à présent exhumer de la terre, il ressort en effet que Cro-Magnon et Neandertal partageaient la même culture, une seule et même technologie dite moustérienne (abris, outillages, inhumations, etc.).