Il n’y a plus, dans cet espace, d’achèvement nécessaire du texte. La presse ne nous presse pas. Publier n’est plus ce moment symbolique où le texte, déjà défini, vient se parer de toutes les armes (couverture, auteur, éditeur, prix) qui lui permettront de partir, de circuler, de se livrer à un monde qui ne l’attend pas. La publication est un processus continu, indéfini ; une épreuve par laquelle le texte nécessairement inachevé (même s’il peut être abouti du point de vue de la grammaire mais c’est un choix !) trouve la force d’être encore et encore réécrit. Délier les points.
Le texte publié ne part pas. Mais passe. Devient accessible aux autres et demeure en même temps entièrement révisable du lieu approximatif d’où il fut transmis. C’est une émission de sens (et de non-sens aussi) qui demeure à la fois proche et lointaine. Publier n’expose pas seulement à la critique externe, c’est en soi une épreuve critique, la recherche de cette ressource dans et par laquelle le texte pourra se réécrire une nouvelle fois et prolonger son inachèvement indéfini. Un texte achevé – un livre – ne l’est que par fait, chute, accident, par grand cas non par droit.
— Vous êtes donc auto-éditeur dans ce cas. Vous méritez la suspicion et les rires. Vous acceptez la médiocrité et la boue des cent pas.
— Il n’y a plus d’édition dans cette activité publique. Pas de prix, pas d’armes dans l’arène aveuglée des avis qu’on se donne. Comment en est on arrivé à croire que par droit (je ne dis pas en fait) l’éditeur, quel qu’il soit et surtout aujourd’hui, a l’autorité suffisante pour décider de ce qui est littéraire ou pas. Quel est l’écrivain qui lui a confié cette autorité (que l’éditeur, toutefois, bien souvent, quand il a l’honnêteté en bagages, remet à d’autres écrivains) ? Lequel ? Celui pour qui le prix (valeur et récompense) vaut tout jugement littéraire ? Celui qu’on a démuni au point de le rendre absolument dépendant de la moindre goutte d’honneur qui tombe de la table des géants et des ogres ? Lequel, il y a tant d’écrivains dans ce cas.
De L’incendie au feu bientôt s’appellera De l’incendie au foyer. Et après on verra…