Chaque objet autour duquel on peut se déplacer librement montre qu’il n’est pas isotrope, humainement parlant : toutes ses faces ne se tournent pas vers nous avec la même vigueur. Et peut-être en est-il ainsi, déjà, dans les laboratoires scientifiques, la matière s’avère au chercheur elle aussi diversement orientée. La prendre sous certains angles vous conduit parfois au bout d’une impasse. Essayer de force de la recomposer vous conduit à des monstruosités. D’où vient alors cette « anisotropie », cette « hétérotropie » des choses les plus ordinaires ?
Du moment qu’une chose quelconque passe dans l’orbite du langage, devient objet de discours – même innommée en tant que telle, même perdue dans un ensemble plus général – ses différents aspects deviennent inégaux au regard. Toujours un aspect est privilégié vis-à-vis des autres, toujours un aspect est mis en avant ; au point que même le plus apparent finit lui aussi par devenir invisible : toujours dépassé dès que croisé, plus supposé que véritablement remarqué, bientôt premier jalon inaperçu du chemin familier qu’emprunte le regard. Face invisible qui toujours le précède et lui garde le chemin ouvert. Poste avancé.
Être dit, c’est ainsi non seulement se montrer inégal, du moins diffèrent suivant les flancs par où l’on est désigné, mais peut-être aussi présenter un côté, une face, que l’on ne se connaissait pas jusque-là et que l’on ne se reconnaîtra peut-être même jamais. Imaginons les discours tenus sur nous (et ce dès l’enfance) capables de rendre incommensurables les différents aspects que l’on nous prête, que l’on se donne, nous obligeant ainsi à forger ou trouver des images à même de nous redonner une continuité attendue ou évanouie – une approximation de visage. Un visage masque toujours assez mal ses contours et ses coutures d’arlequin : dévoré, recraché par une bête qui se nomme langue maternelle. La bouche est coupure, la langue piqûre, l’haleine écorchure, même au plus fort des mots doux : Words can only do harm.