Table de verre

Pour l’Âge classique, l’image était ce qui, à la fois, rendait le tableau visible et le sujet invisible derrière. Le modèle disparaissait derrière la table, couverte et recouverte, qui le représentait, trait pour trait, touche par touche. Les conditions d’exercice de la perception « naturelle » étaient les mêmes que celles de la vision en perspective. On voyait comme on peint. Aussi pouvait-on, et devait même comme chez Bosse, peindre comme on voit. Pour cela, la géométrie était nécessaire, elle qui rendait visible de manière exacte tout ce qui de la vision naturelle et donc picturale ne se voyait pas : vision monofocale, rayonnement, plan transparent, touche locale.

Il faut imaginer qu’une surface plate et transparente encore immobile en une place traverse toute l’étendue ou épaisseur du rayonnement sous lequel l’œil voit le sujet, sans en interrompre aucune des lignes, sans troubler en rien que ce soit leur ordonnance ni causer aucun changement à l’ouverture de pas un des angles qu’elles font entre elles, et comme si l’œil voyait en même temps sujet et cette surface (…)

Ainsi, quand il s’agit de considérer ce que c’est que le portrait de quelque sujet, on peut concevoir comme une table de verre, mince, plate, unie et transparente au droit de laquelle on imagine que l’œil voit le sujet. (…)

Puis concevoir que le traits, contours et couleurs teintes ou touches, que l’œil apercevait du sujet, sont coulés (ainsi qu’il est dit) par les rayons visuels en cette table, qui la font cesser d’être transparente; et qu’ensuite l’œil, au lieu de voir ces traits, contours et couleurs teintes ou touches en la surface du sujet, les voit en cette table, à savoir chaque point, un à un, en la même place au droit de laquelle il voyait le sujet.

 

Abraham Bosse, Manière universelle de M. Desargues pour pratiquer la perspective par petit-pied comme le géométral, 1648