Apparaît au XIXe siècle un phénomène que je crois capital dans l’histoire des sociétés occidentales, c’est-à-dire leur formation et leurs transformations, où qu’elles soient localisées d’ailleurs, à Hong-Kong ou en Afrique, nichées dans une ruche de bureaux climatisés ou près du site d’extraction d’une richesse minière, ce phénomène il s’agit du Paupérisme qui fut le nom que donnèrent les contemporains à la nouvelle expérience de pauvreté et de richesse, de misère et de gloire, qu’ils traversaient et connaissaient alors. Ne cherchons pas à définir le phénomène trop rapidement, les conceptions pullulaient déjà à l’époque (même le futur Napoléon III s’y était essayé), disons seulement que le paupérisme avait ceci de problématique pour ceux qui le découvraient qu’il mettait en question la possibilité même de la vie en société alors que la nécessité de cette dernière pour que les hommes vivent paraissait sans appel. Le Paupérisme détruisait cela même qui passait pourtant comme l’unique recours contre son action : il dissociait.
Ce n’était pas la première fois, loin de là, que la pauvreté venait poser problème aux sociétés occidentales ; les siècles passés furent longtemps préoccupés par la mendicité, qu’elle prit la forme d’un ordre religieux, adossé à une spiritualité particulière, ou d’une population flottante courant aux marges de la loi et inondant les villes. Mais au XIXe siècle, la situation s’avéra différente : s’il était aussi difficile qu’auparavant de saisir l’expérience même de cette pauvreté, c’est-à-dire la manière dont elle était vécue par les pauvres eux-mêmes (et non par tous ceux, philanthropes, économistes, religieux, politiques, et tant d’autres qui la prenaient pour objet tout en essayant d’en définir, selon leurs propres critères bien sûr, la teneur), il était tout à fait nouveau qu’un tel phénomène, que de nombreux analystes considéraient pourtant comme inhérent à certaines formes de sociétés – voire à toutes –, puisse remettre en cause la possibilité même d’une société entre les hommes. La pauvreté, sous le nom et visage du paupérisme, interrogeait d’une manière inédite, critique et dramatique, le mode d’existence de la société en tant que telle, ou plus précisément encore, la façon et les raisons qu’avaient les hommes de s’associer entre eux. C’est pourquoi il fut longtemps l’objet unique, exclusif, de ce que l’on appela tout le siècle : la Question sociale. Aussi quand, ces trente dernières années, la sociologie se mit à remettre en question le concept de société qu’elle avait si confusément placé au cœur de son propre langage, n’assistait-elle pas, comme elle le crut bien souvent, à une montée généralisée de l’individualisme, à une crise de valeurs sans précédent, à une déshérence massive des institutions, ou que sais-je encore, elle retrouvait seulement la rigueur des questions qui l’avaient fait naître, la radicalité d’où elle était issue et dont la volonté de faire science avait marqué et permis l’oubli.
Radicalité car c’est au milieu d’une telle conjoncture (qui reste encore à décrire de manière correcte et nuancée hors des simples évocations de la Révolution française, de son pendant industriel ou d’autres phénomènes canoniques que les historiens des idées invoquent pour expliquer la formation d’une inquiétude si bavarde sur la vie en et de la société), c’est donc en plein milieu de cette tempête que fut le paupérisme, pendant un siècle et plus, que naquit ce qu’on appelle encore aujourd’hui le social. Instance étrange, difficile à cerner, que l’on pourrait percevoir comme aussi vieille que la société humaine, sous certains aspects, ou aussi récente que le paupérisme sous d’autres (mais les deux points de vue ne s’excluent pas, s’appellent au contraire) ; instance en tout cas que l’on pourrait décrire, en première approche, comme l’ensemble plus ou moins coordonné des institutions ayant pour horizon de vue et d’action les formes même du malheur de l’existence : mort, maladie, vieillesse, abandon, accident, etc. Réponse et ouverture au drame des misères humaines dans la mesure où celles-ci mettent à l’épreuve les liens que les hommes tissent entre eux. Drame de l’Absence que tous ces événements creusent au sein de la présence, de la proximité, de la familiarité que les hommes, en s’associant, essaient d’instaurer, de maintenir et de préserver parmi eux. Et si l’examen de la naissance du social par le paupérisme demeure aussi importante pour nous aujourd’hui, c’est bien entendu parce qu’une nouvelle forme de compréhension de la société, la sociologie, y a trouvé et puisé ses objets (suicide, crime, divorce, échec scolaire, grève, etc.), mais aussi et surtout parce qu’une grande part de nos pratiques d’association (et de dissociation), la manière de faire et défaire nos liens avec les autres, nos formes courantes de société donc, se sont considérablement transformées durant cette épreuve. Et peut-être est-ce en contournant la sociologie, du moins en faisant un usage renouvelé de celle-ci, qu’il deviendra possible de porter un regard précis sur cette dimension cardinale de nos vies.
Idée de société, règles d’association ou modes de « sociation » diraient peut-être certains aujourd’hui pour analyser la formation d’un rapport social, et non plus prendre pour acquis son état en un lieu et un temps donné, autrement dit ce qu’on appelle tout bêtement « société » : de quoi parle-t-on, alors, exactement quand on évoque des transformations radicales de la société ? Plusieurs niveaux qui comprennent la consistance de la relation elle-même (saisissable notamment par la façon dont on décrit et perçoit les liens : cordes, chaînes, contrats, serments, fils, etc.), la qualification des termes qu’elle relie (genres, groupes, individus, sous-individus, etc.), ses modalités d’émergence, de maintien et d’effacement, et bien entendu ses modalités de coexistence entre ses différentes variantes et avec les formes d’association qui lui sont extérieures (comment une même société se pluralise sans se décomposer ? comment une société donnée s’ajoute-t-elle à une autre, en divise d’autres, etc. ?). Les sociologues Durkheim et Simmel avaient en leur temps entamé et défendu la nécessité d’une morphologie sociale précise : c’est dans un tel projet que nos réflexions, qui n’ont pas pourtant en vue une caractérisation universelle des sociétés, s’inscrivent.
Non seulement, donc, la substance des relations sociales varie mais les éléments qu’elles relient également. Nous disons le plus souvent, sans trop y réfléchir, qu’une société relie des individus. Mais les termes ou les éléments associés sont souvent bien plus précis que cela. Ainsi verra-t-on parfois une seule et même forme d’association ne pas toujours élire les mêmes dimensions de l’individualité humaine, ou, à l’inverse, les mêmes dimensions humaines être associées de façon bien différente. Prenons par exemple la pitié ou la compassion, que nous prenons pour un simple sentiment mais qui est en fait une forme de communication et de partage des souffrances entre êtres sensibles (cette sensibilité étant essentiellement définie comme capacité de pâtir). Eh bien celle-ci fut progressivement perçue, disons depuis le XVIIIe siècle – de notre part aucun repérage plus précis n’ayant été fait encore en ce sens – comme la dimension majeure du rapport de chacun à autrui.
On pourrait pu croire que la pitié, cette vertu si légitime aux yeux de la morale, aurait dû dominer depuis bien plus longtemps que cela les relations multiples entre les hommes. Or, ce qui nous semble a posteriori comme son expression la plus marquée, la plus visible, à savoir la charité individuelle, était en fait interdite depuis au moins le XIVe siècle (en quoi je vois le seuil possible d’une époque distincte dans l’histoire occidentale, un événement majeur au niveau de ses ressources générales d’association), elle était même activement contrôlée par diverses institutions religieuses appartenant au corps de l’Église ou simplement laïques. Privée d’une grande partie de son expression publique, de sa pleine liberté d’exercice, la pitié s’est maintenue durant des siècles sous la forme neutre ou neutralisée d’une sensibilité générale à la souffrance (même s’il faudrait distinguer au XVIIIe siècle entre universelle compassion pour les êtres de la création, empathie pour le genre humain et sympathie sélective pour certains hommes), jusqu’à ce qu’on l’élève au rang de disposition humaine par excellence. Rousseau, dans son texte sur le fondement des inégalités sociales, la perçoit comme une vertu naturelle des êtres vivant dans l’état de nature ; Nietzsche n’a cessé de s’inquiéter de sa domination croissante sur nos mœurs ; Lévi-Strauss y a vu le fondement de la curiosité de l’anthropologue – sensibilité au monde et aux êtres qui le peuplent qui s’ancre dans ma qualité d’être vivant. Ces jalons philosophiques, sans doute abstraits en apparence – bien qu’ils ne marquent aucune scansion particulière dans l’histoire de la pitié et permettent seulement de porter des coups de sonde dans une durée très épaisse –, montrent comment, en faisant appel à une dimension singulière de l’homme (celle qui l’apparente aux autres animaux), une nouvelle forme d’association, ou un renouvellement des formes existantes, est devenue peu à peu pensable et souhaitable. Ils indiquent aussi par quel biais, c’est-à-dire ici dans l’élément même de la souffrance, une association humaine et non-humaine est devenue possible et envisageable. Cette nouvelle forme d’association ou, disons une de ses formes, nous la connaissons mieux aujourd’hui sous le nom de solidarité. De nombreux travaux ont été réalisés sur la question, et il faudra, en plus de les signaler, en saisir de près les conclusions. Il faudra alors leur adjoindre les travaux sur les formes de philanthropie, activités si caractéristiques des XVIIIe et XIXe siècles ; les études sur la sensibilité morale aux catastrophes ; les types d’institution qui vont ensuite, plus tardivement, être intégrées sous la forme d’un État dit de Providence (mais qui correspond en fait à une étatisation poussée de l’activité sociale en tant que telle). Rassembler tout cela nous dirait quoi ?
Premièrement qu’au sein d’un groupement humain, toutes les relations ne sont pas équivalentes et que certaines ont plus d’importance que d’autres et sont alors promues au rang de relation « sociale » ou « sociétale » (notamment en Occident tout ce qui peut unir un groupe, tant cette civilisation semble hantée par un fantasme de dispersion, de rupture, de désunion douloureuse : le spectre de la guerre civile). Ainsi, l’État démocratique, du point de vue de la société qu’il doit politiquement représenter et gouverner, n’est-il, en fait, qu’une société parmi d’autres située sur un même territoire ; c’est pourquoi les rapports qu’il entretient avec celles-ci se laissent décrire de bien d’autres façons que celles que nous a enseignées la politique de la représentation (voir la société du Middle Ground pour s’en rendre compte).
Deuxièmement que sous les noms et les actions qui diffèrent se cache probablement une histoire qu’il est possible de ressaisir et de construire sous forme de tableau. On y apprendra ainsi que ce ne sont pas les individus ou les hommes qui entrent en relation sociale mais des dimensions humaines ou non-humaines plus précises, plus profondes ou plus génériques aussi, qui sont à chaque fois qualifiées historiquement. Le simple énoncé des droits et devoirs de subsistance aux XVIIe et XVIIIe siècles, aussi bien dans les décrets royaux que dans les traités de philosophie ou d’économie et les enquêtes de sciences naturelles, trahissait une pensée silencieuse mais décidée de la substance humaine perçue en deçà de toute relation sociale. Que sont les hommes substantiellement ? Quelle est la matière de l’homme, la matière proprement humaine ? La réponse, à cette époque, a bien souvent été cherchée au milieu des passions : la passion étant aussi bien la limite ou la puissance des actions naturelles de l’homme que la matière et le support de toute relation humaine. Que l’on songe à la crainte de mourir chez le philosophe Hobbes – qui n’est autre que le désir de sécurité vu sous un autre angle –, et à son rôle dans la formation d’une société civile : motif premier et rationnel du contrat passé entre les hommes cherchant à s’assurer les uns et les autres de pouvoir vivre ensemble dans la tranquillité ; on comprendra d’une part qu’une société humaine se forme toujours au sein et à partir d’un élément humain bien défini (ici toutes les passions qui mettent en cause la subsistance humaine, c’est-à-dire concrètement la possibilité pour chacun d’être un individu, au sens de vivre par et de soi-même) et d’autre part que les éléments dans lesquels celle-ci prend corps n’ont pas forcément, et d’emblée, pris la forme d’un individualité juridique ou économique telle qu’on l’entend aujourd’hui. Il est vrai que l’on trouve dès l’Antiquité des justifications de la vie en société en raison d’une faiblesse humaine. Celle-ci serait une forme de soutien, une forme de réponse à une finitude première qui permettrait au mieux de surmonter celle-ci, au plus probable de la compenser, même si elle induit à son tour d’autres effets négatifs : assemblage de vies faibles s’affaiblissant encore les unes les autres. La société trouvait sa nécessité rationnelle dans un rapport de l’homme à certaines fins que sa nature, en tant qu’individu, rendait incapable d’accomplir. La société de solidarité, la société dominée et entendue comme instance sociale suppose également cette infirmité première chez ses membres : on connaît l’axiome « on a besoin les uns des autres pour subsister » qui pourra être éventuellement élevé en « on a besoin les uns des autres pour exister » ; mais il n’est pas sûr du tout que ce soit de la même manière qu’au XVIIIe siècle ou dans l’Antiquité grecque ou romaine l’on assemblait ses faiblesses.
Dans les textes du Droit Naturel, doctrine juridico-politique dans laquelle était formulée l’exigence rationnelle d’une société civile, c’est-à-dire une société initiée par contrat, établie par un État et comme État, était exprimé un devoir particulier : l’obligation de subsister par soi-même. Cette obligation, à première vue, n’était pas prise auprès des autres, au regard de leurs droits, mais vis-à-vis de soi-même et selon le commandement d’une loi, dite Loi naturelle, qui paraissait si évidente, si commune, si rationnelle (tout simplement ce que la nature demande) qu’elle en devenait insensible en tant qu’obligation et paraissait ainsi comme le plus simple et le plus naturel des désirs : notamment donc, le désir de se défendre en cas d’agression. (Je simplifie le tout puisque, selon les auteurs, les hommes, en vertu de leur nature justement, n’étaient justement assujettis à la Loi naturelle, et qu’il fallait donc qu’ils vivent en société, sous le commandement d’une loi artificielle, pour que la loi naturelle trouve à se réaliser.) Dans tous les cas, les hommes vivant dans l’état de nature, qualifiés en tant que sujets de droit et de devoir (ceux-là mêmes énoncés par la Loi naturelle : ne pas tuer, ne pas voler, etc.) ne pouvaient devenir substantiellement des individus, des formes d’humanité indépendantes des autres qu’en répondant à cette obligation de subsister : en se nourrissant à sa faim, en défendant son intégrité, en fuyant ce qui vous menace, etc. Mais la société civile, dans les doctrines du Droit naturel, n’était aucunement au fondement d’une telle obligation. Et Hobbes, donnant pourtant des exemples de la façon dont les hommes s’assemblent pour compenser leur faiblesses, ne considère nullement cet événement comme un fait social ; car c’est une « loi de nature que tous les hommes s’aident les uns les autres et cherchent à s’accommoder les uns avec les autres, tant qu’il n’y a pas de danger pour leur personne, ni perte des moyens dont ils disposent pour se préserver et se maintenir ». Le soutien réciproque est conjoncturel, éphémère, et fait partie des tendances naturelles de l’homme par laquelle il cherche à se préserver, mais celle-ci n’entraîne aucun lien d’association. Il en sera de même de la famille qui, formée sur une attraction naturelle, ne passera jamais tout à fait au rang de société à l’Âge classique alors que la sociologie et l’anthropologie du siècle qui suivra l’admettra facilement et y verra même le prototype de toute relation sociale.
La relation d’aide, de soutien était antérieure à toute société et c’est pourquoi parmi les hommes vivant, des individus étaient supposés donnés (et non pas simplement des groupes, bandes et coalitions) qui, constitués en sujets raisonnables (c’est-à-dire assujettis à des passions), allaient pouvoir contracter entre eux et faire société. La société civile, au mieux, permettait le passage du droit au fait en rendant plus facile, sinon véritablement possible, une subsistance durable des hommes (leur épargnant du moins plus fréquemment la mort due à la faim, au meurtre, mais non pas à la maladie puisque les hommes sauvages étaient censés posséder une constitution plus robuste que les hommes civils). Or, la société qui va s’avancer au XIXe siècle prétendra – ou on lui réclamera –, non plus seulement de garantir la subsistance des citoyens, qu’ils soient protégés en droit et autant que possible en fait, mais également d’assurer leur existence. La société civile de l’Âge classique était réputé économiser aux citoyens certains malheurs de l’existence (où, comme chez Rousseau et d’autres, les aggraver moyennant quelques compensations), le bilan du passage à l’état civil se devait d’être globalement positif : «Mieux vaut rester ensemble, unis, que dispersés et divisés». Tandis qu’avec la naissance du social, la relation à autrui, la société qui se forme se dit seule capable et légitime de réaliser cette subsistance. La possibilité de vivre par et pour soi qui était au principe de l’individualité humaine à l’Âge classique monte d’un cran autour de la Révolution Française, et de Loi naturelle inscrit dans le cœur de chaque être naissant, la nécessité de subsister devient norme variable que la société peut et doit appliquer au milieu de ses membres.
D’une certaine façon, avec l’avènement de la société comme social, nous ne sommes soudain plus envisagés comme capables, ni obligés de subsister par nous-mêmes. Il ne peut y avoir d’existence pleinement humaine, c’est-à-dire d’individualité, qu’au sein d’une association de soutien, de protection, d’assistance. Je n’existe pas sans la médiation protectrice d’autrui. Nous sommes donc tous d’une certaine manière, au regard de l’être vivant que nous sommes chacun en nous-mêmes, en état de survie : les changements dans l’appréciation des enfants sauvages, des enfants trouvés, le démontrent d’une belle manière. Que l’on débatte à propos de Victor de l’Aveyron – vie sidérale mise en images par Truffaut – pour savoir si son infirmité est cause ou conséquence de son abandon, il est néanmoins devenu inenvisageable, sinon comme fable, qu’il puisse vivre en tant qu’homme par lui-même et de lui-même. La nature devient subitement insuffisante, incapable de soutenir la vie humaine. Et la société n’est plus seulement là pour lui donner des moyens artificiels (achevant, rectifiant ou compensant la nature) mais pour permettre et porter cette vie. Sans les hommes en société, nous ne sommes même plus désormais des sauvages, des hommes de la nature, mais des êtres malades et infirmes. La vie humaine n’appartient plus à l’individu que nous rêvions d’être par nous-mêmes mais seulement à l’espèce. Nous naissons dès lors inaptes, inadaptés, prématurés. Notre individualité n’est jamais complète ou suffisante par elle-même pour mener une vie normale parmi nos congénères. L’élément même dans lequel se forme la société devient la substance première et profonde de notre être. Aussi, Holisme et Individualisme, catégories qui préoccupent depuis longtemps ceux qui pensent à peu de frais ces problèmes, constituent les deux erreurs symétriques et impropres à décrire quoique ce soit de positif, de concret, de réel dans les sociétés qui nous traversent et que nous sommes. Elles n’ont de sens véritable qu’à titre de thématiques politiques, d’enseignes à porter au combat.
Voici donc le grand axiome de la nouvelle société qui fut mis en place peu à peu en Europe, couvrant de son ombre de plus en plus de relations humaines : on ne peut vivre seul. La présence d’autrui est non seulement nécessaire pour que j’existe mais elle doit l’être pour que je puisse m’accomplir, m’individuer. Relation devenue à la fois fondement et fin de toute société, de toute relation qui s’exerce ici et maintenant à l’heure où je vous parle, mais, de plus, de toute relation ayant pu exister entre les hommes. La Société était née, la forme sociale d’association entre les hommes se voyait déclarée universelle.
L’enjeu, en affirmant des choses encore si imprécises, est de mieux décrire les différences entre la société civile des siècles précédents et la société tout court, c’est-à-dire sociale, solidaire, harmonieuse (elle a pris tant de noms depuis qu’elle existe et même celui de la nation, de la race). Exercice difficile. D’autant que cette volonté de clarté se complique dans la mesure où la société civile a continué son histoire au XIXe siècle, dans l’exercice du droit et dans les combats politiques, et c’est tout le sens de ces recherches annexes que nous ne sommes, loin de là, pas seuls à mener (voir donc les travaux de Bruno Bernardi). Redisons seulement que c’est au cœur de ces enquêtes menées sur le Paupérisme que vont se nouer ensemble l’expérience d’une nouvelle façon de vivre entre les hommes, l’exigence d’une nouvelle forme de société et l’émergence d’une réflexion sociologique sur ces phénomènes.