Chirurgies littéraires

Surgery©Martijn_Dorresteijn

Un homme du XVIIIe siècle pouvait, en parlant uniquement de Nature, parler totalement de son être. Il établissait en elle et par elle un rapport complet à lui-même. En donnant prise à des sciences non plus seulement naturelles mais humaines, l’homme contemporain ne peut plus, d’un seul tenant, se rapporter à soi. D’un côté, il doit se référer à un autre que lui, et extérieur à lui, pour savoir ce qui, en toute vraisemblance, arrive à son corps ; à l’autre bord, il doit regarder en lui cet autre lui-même s’il veut la vérité de son esprit. Tel est sans doute le tranchant aiguisé par l’avènement des sciences humaines et qui se trouve porté encore aujourd’hui dans l’existence de nombreux sinon chacun des individus. Il se peut que la littérature se soit depuis longtemps donnée comme tâche d’en effacer la blessure, d’en émousser ou d’en affûter le coupant, car même en dehors de tout usage du je, fictif ou non, elle me semble toujours, pour une part, tentative de cerner, d’oublier, d’établir un rapport à soi.

De là, le relevé de tant de cicatrices.