La célèbre formule d’Horace est soudain renversée à la Renaissance. La Peinture se voit non seulement haussée au niveau de la poésie – d’où le fait que la Poétique, ou système des arts, se nomme dorénavant Poétique et non pas Esthétique – mais également mise en communication avec la poésie par un système d’analogies, autorisant tout à la fois différence et hiérarchie. De La poésie est comme la peinture qui dénote une ressemblance occasionnelle dans les traités de poétique de l’Antiquité, on passe à une analogie dans laquelle la peinture affirme sa primauté. Ce n’est plus une communauté des arts mais la substitution d’un art à l’autre dans la position de l’art supérieur. Néanmoins cette doctrine constituée, à laquelle peu d’œuvres ont répondu réellement, a été contrebalancée par l’action de poèmes faisant parler l’un et l’autre arts réconciliés par l’Amour. Parfaite idylle dans laquelle, chacun parlant après l’autre, on pouvait néanmoins entendre la peinture parler, mais un ton plus bas que celui que lui autorisait la doctrine.
Dans son ouvrage rare sur les livres d’artiste, Peinture et poésie. Le dialogue par le livre (1874-2000), le bibliothécaire et poète, Yves Peyré, parle également d’amour, même d’étreinte, et voit dans le livre leur lieu de rencontre. Mais avec, comme à l’Âge classique, un déséquilibre certain. Car dans le dialogue nourri d’égalité qu’imagine Peyré, c’est malgré tout sur le terrain de la poésie-texte que la rencontre s’effectue, celle-ci cédant habituellement une page au trait et à la couleur tout en conservant ses aises et affinités avec la feuille du livre.
Si à l’époque classique on avait concédé à la peinture la capacité de dire quelque chose, sans avoir l’air de le faire et surtout sans le dire – fondant ainsi la nécessité de toute iconologie –, celle-ci désormais mise en regard des poèmes, ou même mêlée à eux, se jouant elle aussi de lettres-graphismes – balbutiement du trait entre écriture et dessin –, semble au contraire devenue muette. Moins un mutisme peut-être, une douloureuse retenue des mots que la joie d’être elle aussi occupée à ce qu’elle sait très bien faire. Entendre et voir et pas seulement faire voir. Sans doute est-ce pour cela que dans ce silence contemplatif entre poésie et peinture, depuis au moins Mallarmé et Manet, Peyré voit beaucoup d’amour. Et d’autant plus que leur intimité, leur proximité se fait à partir d’une extrême hétérogénéité de départ. L’approche amoureuse comme aventure du voyage. Ainsi, avec Baudelaire, puis Apollinaire, Reverdy et tant d’autres, la peinture est non seulement devenue un objet poétique mais une source, également, de langages. Langages littéraires. Langages qui ne cesseront de s’inventer, de s’exercer, de se relancer depuis, avec et contre la peinture.
D’où cette question terrible pour nous (car je suis loin d’être seul dans cette drôle d’affaire même si je ne sais rien, ou si peu, de ceux à qui ces phrases parlent): qu’est-ce qu’une rencontre réussie entre texte et image ? Suffit-il qu’il y ait coexistence, proximité, coïncidence, même quelques minutes, entre les deux ? Un contact suffit, même sans aucune reconnaissance, sans même que chacun sache qui se tient à ses côtés, derrière ou même devant soi ? Et la violence que peut occasionner ce rapport ? Une certaine violence de l’image est-elle essentielle au texte et inversement ? Doit-on faire appel aux images pour couper les textes, les sectionner, les raboter, les effilocher, les rendre incisifs ? La critique des textes ainsi accomplie par les images vaut-elle un mauvais éditeur ?
En tout cas, ce n’est pas sur cette page que sera résolu le problème.