La musique n’exprime rien d’extra-musical, nous dit Stravinsky, elle nous parle seulement d’elle-même, elle fait signe sur son propre déploiement en train de se faire. À l’inverse, Rousseau fait de la musique, et bien avant le langage, la forme première et spontanée d’expression du cœur. Le sentiment de soi, la sensibilité à soi, n’est pas primitivement intérieure, retirée dans le volume obscur et silencieux du corps. Le cœur est fait d’élans. Les affects sont des mouvements. On s’ouvre potentiellement à soi en même temps qu’on s’ouvre aventureusement aux autres quand on s’émeut d’une chose. L’expression garantit l’extériorité primitive et spontanée des sentiments. Les sentiments sont toujours perceptibles, même à moitié, à moi, aux autres. Mais tout n’est pas clairement perceptible dans nos émotions. Une part nous échappe. Mais faire de cette part leur noyau essentiel et originaire, c’est se contraindre à ne rien savoir. C’est s’obliger à demeurer inconscient. Oublier que la musique nous donne accès à nous-mêmes.
Le compositeur Mannoury soutient, dans sa leçon inaugurale au Collège de France, que la musique « n’a pas de référent dans la réalité », qu’elle « est intraduisible dans un langage verbal », qu’on « peut en parler » mais qu' »on ne peut la dire ». Et pourtant, il s’oppose à l’idée de Stravinsky disant « que la musique est impuissante à exprimer quoi que ce soit ».