Au XVe siècle de leur ère, les européens intensifièrent leurs voyages en haute mer. S’amorçait l’épanchement, dans les plus grands océans, de l’antique et glorieuse Méditerranée, une hémorragie qui allait faire battre ailleurs le cœur déchiré de la chrétienté d’Occident.
Plus que jamais, alors que la technique maritime permettait de s’aventurer plus loin et plus longtemps, partir pouvait être sans retour. Perdant les côtes de vue, tournant le dos aux leurs – ne serait-ce que pour quelques mois –, les voyageurs pouvaient désormais laisser derrière eux le plus gros de leur humanité. Seuls d’autres hommes se tenaient à présent devant eux, quelque part, loin, sous la ligne d’horizon : les hommes qu’ils allaient devenir, ceux qu’ils allaient rencontrer, les hommes qui s’affirmeraient humains par nature et ceux qui seraient forcés de le devenir. Double altération, double métamorphose, d’êtres qui allaient demeurer pour chacun largement étrangers, mais relation qui allait tous les conduire, et parfois les confondre, au sein d’une même aventure, une histoire unique.
Dans ce voyage qui les vit tracer les limites d’un monde nouveau, quantité de chrétiens s’arrachèrent à la terre qu’ils tenaient en leur cœur : se détourner de Jérusalem jeta définitivement l’Europe du côté d’Occident.