Le désir est celui de l’impossible. Mais l’impossible n’est pas un idéal que le désir n’atteindrait jamais et qui lui permettrait au contraire de sans cesse désirer, même en l’absence de toute jouissance, même privé de toute satisfaction : désir malheureux, désir languissant. L’impossible n’est pas condition négative du désir mais l’événement qui fait sa cause. L’impossible est l’événement dont le désir est phénomène.
Le désir n’a pas d’objet, il est manifestation de l’Impossible.
P. Quignard signale constamment, en référence sans doute aux résultats de la psychanalyse, que nous ne cessons de nous retourner vers ce dont nous provenons. Les mammifères cherchent un trou où se glisser pour revenir d’où ils sont venus. Mais cette boucle est impossible à refermer, on ne revient jamais là d’où est on sorti. Le cercle passe dans un autre cercle. On se perd à force de se retourner.
Depuis trois siècles, plusieurs mécaniques du désir se sont affirmés : l’inclination avec sa pente et sa gravité, l’attraction avec son magnétisme et sa polarité, l’entraînement avec ses chaînes et ses moteurs, etc. Je suis incliné, attiré, entraîné, par le désir.
Langage et perception ne sont pas moins phénomènes l’un de l’autre que de l’événement de l’Impossible. Double manifestation croisée d’une même expérience de l’impuissance radicale. Moment absolu où l’acte cesse d’avoir une action, où l’action cesse même de trouver une seule réaction.
Le désir ouvert par la nouvelle de l’impossible ne se présente pas de la même manière que celui qui s’éveille avec la découverte de l’interdit. Celui qui défend présente le désir à lui-même sous la forme d’un rebelle : on m’interdit donc j’en ai envie, et plus encore envie qu’on me l’interdise. Il n’y a pas cette dimension seconde et réactive dans le désir dont je parle, l’impossible n’est pas cause extrinsèque du désir, ce dernier est son phénomène, sa manifestation dans le monde – ce qui se passe quand de l’Impossible, subitement, advient à notre expérience. Des aimantations, des inclinations, des attirances se produisent vers où l’on dit qu’il y a de l’impossible. Le désir suppose donc l’épreuve d’une finitude, l’épreuve d’une limite impossible à franchir. Il existe une passivité fondamentale dans la formation du désir mais cette passivité, loin d’être une malédiction et aussi dure qu’elle peut être à souffrir, est une chance, une condition (pas une condition au sens du statut que l’on traîne mais une épreuve par laquelle on doit passer). Ainsi, le désir qui s’en suit, dans la mesure où il est désir de l’impossible, est ignorance totale du corps et de sa physique, de la chair et de sa culture, ignorance totale de ses lois et possibilités : il expose ainsi le corps à sans cesse rencontrer, éprouver, de nouvelles forces qui pourront éventuellement le mener à rendre possible l’impossible. Le désir est ainsi désir d’autres forces (mais sans que celles-ci soient son objet) et ce dans la mesure où il demeure phénomène de l’impossible : toujours disproportionné au regard des capacités de celui qui désire, qu’il expose, qu’il met en danger, en l’ouvrant à des forces internes et externes que son corps ne possédait pas. La surpuissance redoutable du désir est à la démesure de l’Impossible.
Le désir s’éteint dans le possible, là commence la volonté.