Cet embarras, qui ne conclut pas le traité car il l’accompagne tout du long, ne quittera pas Calmet. Son enquête n’essaie pas d’en finir avec l’affaire des vampires mais de prendre la mesure du problème qu’elle pose : « Il est impossible, que tout à coup plusieurs personnes croyent voir ce qui n’est point, & qu’elles meurent en si peu de temps d’une maladie de pure imagination. Et qui leur a révélé, qu’un tel Vampire est entier dans son tombeau, qu’il est plein de sang, qu’il y vit en quelque sorte après la mort ? N’y aura-t-il pas un homme de bon sens dans tout un peuple, qui soit exempt de cette fantaisie, ou qui se soit mis au-dessus des effets de cette fascination » [1]. L’apparition des vampires semble au-delà de ce dont les hommes peuvent faire l’expérience, comme si aucun témoin ne pouvait être à la hauteur de l’événement. Il ne subsiste donc qu’en parole ne parvenant pas à s’établir en tant que fait : occurence pleinement visible et reconnaissable par tous d’une manière analogue. Il faudra attendre 1822 pour que l’écrivain romantique Charles Nodier dise, après avoir rassemblé à nouveau et publié toutes ces fictions : « Nous engageons nos lecteurs à se défier de ces récits ainsi que des prétendues histoires de revenans, de sorciers, de diables, etc. Tout ce qu’on peut dire et écrire sur ce sujet, n’a aucune authenticité et ne mérite aucune croyance » [2], pour que se déclare enfin cet homme exempt de toute fascination. Les histoires sur les vampires deviendront alors des fables jalousement gardées par les écrivains qui continueront d’affirmer contre l’embarras insistant de l’abbé Calmet : « Désormais, tout ceci n’est et ne sera que littérature ».
Notes :
1. Calmet, Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires ou les revenans de Hongrie, de Moravie, etc., 1751, tome II, p. 222-223. Retour au texte
2. Nodier, Charles, Infernalia, 1822, p. III. Retour au texte