Index

Ce ne sont pas les choses elles-mêmes que désignent les noms qui cherchent à les décrire. Ce sont d’autres signes, des signes particuliers, des index. Ces noms appellent seulement notre visage à se tourner vers la surface hérissée du monde, à prendre garde aux doigts pointés qui se dressent, qui agressent, qui accusent : traits, marques, griffes, coches, stigmates, cicatrices, traces, taches, autant d’indices innombrables qui, arrangés entre eux d’une façon différente, produiront symboles, emblèmes, effigies, sceaux, preuves, etc. Bien avant qu’un nom soit lancé à haute voix pour désigner quelque chose, un langage plus silencieux, plus discret, a déjà recouvert le monde, et, convergeant ici ou là en grappes, paquets ou faisceaux montre chaque fois quelque chose d’indéfinissable. Ainsi désignées, les choses les mieux cachées, les plus dissimulées, trahissent leur présence. Elles y trouvent, non le lieu de leur naissance, de leur repos ou de leur intimité, mais celui de leurs interceptions au hasard, de leur course accidentée sous le soleil brûlant, de leur lente érosion dans la fureur du vent : choses livrées aux éléments.

On voit combien le fait de désigner est une opération complexe dont le nom signale au mieux l’activation, ou l’activité, mais qu’il n’accomplit pas de lui-même. Ce que prononce le nom une fois l’opération terminée, c’est : premièrement, qu’un site est assigné à la chose désignée dans l’espace et le temps ; deuxièmement, qu’une inscription est donnée qui permette de repérer ou de retrouver ce lieu dans le fouillis du monde ; troisièmement, qu’une description est fixée qui puisse signaler la présence de cette chose même une fois qu’on l’a perdue de vue ou qu’elle s’absente elle-même. D’une certaine façon, un nom qui désigne est toujours un lieu dit.