Rock Garage

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#3

 

L’entresol était sombre et crasseux, mais je le remarquais à peine, l’espace me consumait avec le son de ma – notre – musique.

 

Douglas Cowie, Owen Noone & Marauder, 2005

#2

La cave, pensa la tête de leur groupe. D’accord pour une répétition de plus, à condition que ce soit la dernière. Juste : une fois qu’on est lancé dedans, il n’y a plus de fin qui tienne, ni de remise à demain. Les journées n’existent plus, les nuits n’interrompent plus rien, on doit faire avec un monde d’étoiles, se suffire de sueur et de bruit, et on ne peut plus s’arrêter, même si on joue pour des vies entières.

Déjà, après quelques marches, il sentait la fraîcheur repoussante des parois qui avaient moisi. Puis de suite il revit les images, les pochettes, les unes des magazines sur lesquelles le groupe s’étalait en bravades, ces images qu’il voulait voir enfin sortir de sa tête, comment allaient-elles pouvoir s’envoler au croisement des rainures noircies qui dessinaient les carreaux, le long des coulées de pluie qui dégoulinaient sous la voûte, au milieu de ce ruissellement sombre et vert qui refusait de tarir ? Il entendit à nouveau Black Sabbath faire grésiller le poste radio. Il les voyait comme rêvés par chacun, comme chaque groupe après eux, descendre dans une obscurité si profonde, si opaque, qu’ils s’apprêtaient à quitter la lumière à jamais – éclatants et obscurs : le prix de noirceur à payer pour retrouver la lumière sans se brûler. Nos aînés avaient quitté la surface du jour, se disait-il, ils s’étaient refugiés dans les caves, les abris, les garages, les « locals ». Et la plupart y avaient disparu. On pouvait les sentir dans l’humidité des sous-sols, on pouvait les entendre hurler leurs jeunesses, celles dont ils rêvaient et qu’ils laissaient s’échapper, celles qu’ils avaient perdues et qu’ils cherchaient tout de même.

Le rock garage pouvait être une issue. Un escalier glissant vers un plus d’existence.

Le garage ce sont des nuits sans limite où y a rien d’autre à faire qu’à jouer et s’époumoner. Perdre sa voix. Se faire musique. Des nuits où y a plus rien qui vaille plus que ça.

#1

La cave, pensa leur visage. D’accord pour une répétition de plus, à condition que ce soit la dernière. Juste : une fois qu’on est lancé dedans, il n’y a plus fin, ni recommencement. Les journées n’existent plus, les nuits n’interrompent plus rien, on doit faire avec un monde d’étoiles, de sueur et de bruit, et on ne peut plus s’arrêter, même quand on joue pour des vies entières.

Déjà, après quelques marches, il sentait la fraîcheur repoussante des parois humides. Puis très vite il revit les images, les pochettes, les unes des magazines, des rainures noircies entre les carreaux, des coulées de pluie dégoulinant sans faillir depuis des années sous la voûte, ruissellement sombre et vert qui refusait de tarir. Il entendit à nouveau Black Sabbath faire saturer la radio, les voyait comme chaque groupe avant eux, après eux, descendre dans la noirceur, quitter la lumière à tout jamais – éclatants et obscurs. Nos aînés avaient quitté la surface du jour, se disait-il, ils s’étaient refugiés dans les caves, les abris, les garages, et y avaient pour la plupart disparus. On pouvait les sentir dans l’humidité des sous-sols, on pouvait les entendre hurler leurs jeunesses futures et passées.

Le rock garage peut être une issue. Un escalier glissant vers un plus d’existence.                                                                                           Le garage c’est des nuits sans limite où il n’y a rien d’autre à faire qu’à jouer et s’époumoner.                                            Perdre sa voix. Se faire musique.                               Des nuits où y a plus rien d’autre qui vaille.