On Air

Radio-New by Gafa Kassim

On peut se moquer – et avec raison – de ceux qui déclarent préférer le son du vinyle : plus rond, plus chaud, plus vrai ; au détriment de celui du compact. Mais on aura beau leur montrer que le son, en raison de son procédé de lecture, est meilleur (quand les gravures auront été faites avec soin, ce qui est loin d’être le cas pour tous les albums), ils n’auront pas tort pour autant de continuer à dire non. Car c’est peut-être que nous ne comprenons pas ce qu’ils disent et ce qu’ils expriment de cette façon ; nos arguments, pour être amplement objectifs, ne font pas de leurs affirmations de simples opinions subjectives. Les amateurs de vinyles, en effet, nous paraissent intégrer dans le son ce que d’autres comme nous n’y mettent surtout pas. Notre petit doigt sur le disque ne suit pas les mêmes pistes. Cette chaleur qu’ils sont nombreux à sentir (outre les questions de prise de son et d’enregistrement), c’est le crachotement caractéristique des émissions qui passent sur les ondes. Les amateurs de vinyles écoutent leurs disques en radiophonie.

Il y eut un temps où le jazz n’avait de vecteurs d’audition pure (c’est-à-dire de moyens de constituer sa musicalité en expérience purement auditive) qu’à la radio (il y avait peu de lieux pour l’entendre en tant que musique car celle-ci n’était bien souvent qu’un divertissement, et parfois une présence bien secondaire). Or, en écoutant les retransmissions sur le poste, non seulement on entendait cette musique – et ses musiciens – que bien souvent on n’allait jamais voir mais on se sentait également en présence de ceux qui, au même moment, écoutaient ce qui devenait alors un concert à distance. Et c’est cette chaleur, je crois, cette invisible proximité d’autrui, que retrouvent et apprécient les amateurs de vinyles. Debout, le casque sur les oreilles ou les enceintes à fond, dans une intimité ordinaire, voire même casanière, ils entendent et ressentent les autres autour d’eux.

À prendre plaisir, alors, dans ce crachin sonore, ils ne sont plus seuls. Il y en a d’autres avec eux quelque part attachés à contenir les même émotions qui débordent.

Machines à écrire

En passant

Les révolutions européennes du XVIIe siècle, par force libelles, chants et cérémonies, se déroulaient sur une scène virtuelle et devant un public absent. Théâtre que les prises de palais et les sièges de cités rendaient manifestes pendant quelques temps. C’est pourquoi on parle encore de manipulation ou de machination en politique (on imagine que derrière chaque parole publique quelqu’un tire les ficelles) et pour cette raison que la satire morale de l’époque décelait dans les faits et gestes, non pas une histoire, mais un rôle tenu de bout en bout et à part entière. Derrière les acteurs se dissimulaient des auteurs, princes et grands, qui pensaient avoir pour eux la souveraineté de la mise en scène, la régie des décors, le privilège des bonnes perspectives. La Politique s’institua ainsi et le journalisme actuel croit encore pouvoir la critiquer en usant des procédés qu’elle-même inventa, mais que peut faire l’intrigue des petites histoires contre la pompe de la grande.

Fan

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Patti Smith. 1976. by Ian Dickson1975, salle de l’Other End, à New York, Patti donne un concert avec son groupe au complet. L’ambiance est électrique. Bob Dylan est dans la foule. « Cette soirée m’est apparue comme une initiation, où je devais devenir pleinement moi-même en présence de celui que j’avais pris pour modèle », écrit-elle dans Just Kids.

La scène se renverse : la groupie, la gratte-papiers qui cherchait les interviews, se retrouve ce soir les deux pieds, les deux mains, sur les planches pendant que l’idole secrète brille de son éclat noir. Seule contrainte qui filtre dans l’air venue de sa bouche muette : ne pas me ressembler mais être soi-même. Se courber sur soi et tenir, retenir, quelques heures le peu que l’on est – fulgurances dont on est à la fois le seul support et le seul témoin.

Troisième ou quatrième génération de rockers (avec quoi on compte le temps dans ce genre de mouvements, n’y a même pas de manifestes, de simulacres de révolution, pour scander le temps ?) à monter à l’assaut de la scène : Lemmy le roadie et Patti la groupie. Le rock devient un milieu dans lequel ceux qui font tourner le spectacle trouvent la force, l’occasion, l’accès, ou la faiblesse aussi, de briller à leur tour. La scène, alors, s’ouvre à l’arrière : le rock sort des backstage.

Je ne sais, alors, si la scène communique encore avec le labyrinthe branlant de la foule, celui d’où n’importe qui, la rage au ventre et le désir dans la gorge, pouvait sortir ; ou si ces nouvelles figures de rockers, qui viennent de l’entourage immédiat de la scène, ne montrent-il pas qu’une porte vient de se fermer ? La route est-elle devenue si longue qu’il faut maintenant-lentement s’approcher ? Transporter et installer le matos ou recueillir quelques bribes de paroles ? Entre les fans et les groupes, n’y aurait-il plus d’espace pour personne ?