L’exode

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Au XVe siècle de leur ère, les européens intensifièrent leurs voyages en haute mer. S’amorçait l’épanchement, dans les plus grands océans, de l’antique et glorieuse Méditerranée, une hémorragie qui allait faire battre ailleurs le cœur déchiré de la chrétienté d’Occident.

The gate by 6ruk

Plus que jamais, alors que la technique maritime permettait de s’aventurer plus loin et plus longtemps, partir pouvait être sans retour. Perdant les côtes de vue, tournant le dos aux leurs – ne serait-ce que pour quelques mois –, les voyageurs pouvaient désormais laisser derrière eux le plus gros de leur humanité. Seuls d’autres hommes se tenaient à présent devant eux, quelque part, loin, sous la ligne d’horizon : les hommes qu’ils allaient devenir, ceux qu’ils allaient rencontrer, les hommes qui s’affirmeraient humains par nature et ceux qui seraient forcés de le devenir. Double altération, double métamorphose, d’êtres qui allaient demeurer pour chacun largement étrangers, mais relation qui allait tous les conduire, et parfois les confondre, au sein d’une même aventure, une histoire unique.

Dans ce voyage qui les vit tracer les limites d’un monde nouveau, quantité de chrétiens s’arrachèrent à la terre qu’ils tenaient en leur cœur : se détourner de Jérusalem jeta définitivement l’Europe du côté d’Occident.

L’art accélère le film (Notes de travail)

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Dissémination Novembre : Cinéma !

Il suffit de peu de fois pour faire une coutume.
– Deux fois en fait.
– Oui deux fois, sans pourtant que cela se répète, deux fois que je propose de semer sur la toile, au lieu d’admirables travaux d’écriture émis des dix doigts d’un auteur, un lieu où se perdre, une revue encore : un lieu dans lequel on peut s’enfoncer pour y poursuivre tous ses mirages (de trésors, de richesses, de plaisirs et on n’y coupe pas) ; un lieu à partir duquel perdre, au moins quelques secondes, le nord qui scintille, et se retrouver quelques pages plus loin – porté par mille doigts qui vous montrent – là où on n’aurait jamais pensé parvenir.
– Mille doigts contre dix, c’est un drôle d’échange.
– Et alors, l’important n’est pas de recevoir mais d’abord de semer. Nous vivons dans l’hiver, les moissons n’y sont pas de saison. Continuons, continuons, creusons le sillon de travers, délirons, délirons.

Pléthore de choses à lire et à voir, donc, sur Dérives, cette revue ouverte au cinéma, faite par des gens de cinéma, et qui concentre aussi bien des fiches pratiques sur le montage des images que des textes manifestes (première fois que je lisais le célèbre Manifeste Ciné-Œil de Dziga Vertov), des portraits de cinéastes aussi, une banque de films (j’y ai trouvé le Blow Job d’Andy Wahrol), et tant de choses que même en s’y retrouvant, on y reste encore exposé à l’accident subi d’une rencontre.
Témoin ce texte, cette série de notes de F.J. Ossang (2001), cinéaste autant que poète, éditeur et activiste de la scène punk avec MKB :

Ce film doit avoir la pureté coupante et confusément colorée d’un poème de Georg Trakl – non au cinéma plus misérable que la misère, plus sexuel que le sexe, plus lourd que le plomb tant il se paraphrase.

(acte 1). Électricité, trame de menace coupe-circuit, hydrocution. Chercher des équivalences de son aux couleurs – rythmes d’agression psychique. Sonder le matériau, la densité chimique des émotions – et plus seulement la physique narrative.

Des questions simples : foncer un rose par le son revient-il à rougir ? Qu’est-ce qu’un bleu électrique de mort (en son) ?

Peut-on coder la transcription, ou juste munir de contrepoints… le cristal – ou la ténèbre bouchée ?

Comment justement contaminer, corriger, contraindre et soumettre l’image et sa machine coloriante (la gestique enfonce la séduction des images-morts) ? « Celui qui préfère la couleur à la forme est un lâche » (William Blake).

Les gestes, les mots, les sons ont la force des caractères.

L’image est la seule puissance de la fascination (danger).

Le son peut servir de contrechamp à une autre image…

DOUBLER l’interprétation : trame-son d’une image (réelle ou non), de façon à pouvoir décliner des récurrences, pas seulement par surimpression et contrepoint d’images-mémoire, mais au son, au bruit, aux mots.

2 axes : chaos-géhenne et didactique bressonnienne – bruitisme bressonnien et revisitation d’Eisenstein par le Third Mind.

Les questions du cinéma 25-35 ou 55-75 sont aujourd’hui déplacées mais demeurent les mêmes. En revenir au questionnement d’Eisenstein, Bresson, Murnau, décanté-accéléré par la relecture de Nietzsche (naissance de la tragédie) ou W.S. Burroughs. Activer (utiliser activement) la mobilisation technologique du cinéma actuel (recentrage de la vision pensée des « fondateurs » et du caractère réalisable de ces intuitions – montage dialectique – démusication et modèles – coloration et mise en timbres) hors d’une prévarication académique (intertitres contre samples, son direct, off, synchro, récitants…). Il existe des armes que les « pères » n’avaient pas, mais qui leur reviennent.

Remonter radicalement le courant « coma technologique » turbinant les crânes secs et l’académisme des réalisateurs actuels.

« Je suis un réacteur – je me propulse en créant un vide qui m’active en avant, toujours en avant… »

Vider, démembrer, dénombrer, et ré-activer les éléments du Kino, retour au poème et à la partition bruitiste, flammer de couleurs primantes, et découper au ciseau à feu-froid des blocs de nature et de mots – après on VERRA…

Église / Clinique / Vaisseau Fantôme – allées transformées par la lumière en coursives et soutes de la Maria Celeste, Vaisseau Fantome. Dans le chœur, un tableau comme on en trouve dans les églises des XVIème/XVIIème siècles – marine des ténèbres, lueur christique et réverbération démonique – où l’ambiguïté des charges de répulsion et de fascination luttent chez l’observateur qu’elles « captivent ». De la même façon qu’un défilé par les coursives, puis le sous-sol de la clinique, ou telle révélation d’icône, corroborent l’intime communication entre ciel et enfer – le très-haut, le très-bas (manie religieuse hétérogène ou tentation manichéenne, qu’atteste la prière d’Angstel – confuse, contradictoire, presque dialectique (l’ombre d’Isis) – entre le goût de perdition, et la nécessaire résolution).

Religiosité passée vite, jamais soulignée, mais déclinée tout le film – tout l’art est omniprésent, dans la manière ou l’essence, tant il est « revisité » par la vitesse et la distraction, jamais objectivement imité, mais ACTIVÉ par la nécessité (comme Artaud dit : « l’art, c’est ce qui accélère la vie » – du Moyen Âge au XXème siècle, early sixties ou structures portantes d’Asger Jorn) – c’est-à-dire qu’il ne se donne jamais à voir, filmé statiquement comme une évidence : il est part intégrante, caution comme prétexte au chaos qui régit la problématique d’Angstel (hétérogénéité du réel et du sacré)… Littérature !

Intégré, suscité, jamais imité : l’art en vient comme les personnages (Angstel, Vince, Satarenko) – il accélère le « film » – comme le cinéma ne doit jamais le signer (idem % à la limite du symbolisme des couleurs picturales appliqué au ciné – ça ne marche jamais : c’est pas une couleur juste, – juste une couleur – mais C’EST elle…)

Contamination entre la gestion de l’art du film et celle des mots d’Angstel : dire vrai, voir juste, même « si c’est un artifice pour aller vite, encore plus vite ». Je rassemble les membres épars d’Osiris – ou : l’envers de l’envers n’est pas l’endroit.

DÉCOUPAGE (à armer la couleur, la contrer ou démesurer les émanations – fluide ou ruptif). Détail : un close-up n&b ne produit pas l’effet d’un close-up couleurs (pourquoi). Pourquoi le découpage des films actuels semble « comatisé » par de l’émanation.

Profaner la coloration par les structures.

DÉTERRITORIALISER.

Paru initialement dans le livre, Jeune, Dure et Pure ! Une histoire du cinéma d’avant-garde et expérimental en France – sous la direction de Nicole Brenez et Cristian Lebrat – Cinémathèque Française / Mazzotta, 2001.

Que dire quand les instances et les instructions pratiques tonnent déjà, sonnent déjà comme des poèmes ? Quand réaliser, ou seulement programmer de réaliser, libère une poésie de flashes et de coupes, d’un grain serré, dur, et pour partie impénétrable ; plombant des images balancées sans espoir dans un ciel, compressant des vues d’étoiles aussi, des astres lumineux en fusion : comètes passant et cramant aussitôt les clichés qui nous viennent, nous retiennent dans l’ébahissement, ou obturent fermement toute vision ?
Ce qu’on y entend ? Même sans aucune habitude de la caméra, ni du choc rigoureux des images ? Quelques bouts de pensée projetés à raison ou à tort – mais surtout à tort.

Le film tamise le monde qu’il colore. Il en est la teinte sombre.
Face miroitante qui n’affaiblit pas ce qu’on voit mais l’accentue, l’intensifie.
L’image n’est plus une faible et confuse perception.
Le jour est gris, séance colore.

La coupure cinéma est portée sur l’image, met le film à l’épreuve, lui-même,
matériellement et fictivement.
Court-circuit      coupure      hé finie la séance !
La couleur est sombre, toujours sombre
Lui trouver des échos, relancer les sondes.

Le débord des couleurs vers le son est une lutte contre l’imago,
l’image de l’absent,
du père mort,
qui fascine et pétrifie sans cesse le visage, le regard.
La couleur maquille, coule, se déverse et on pleure.

Le son souligne à grands bruits le Noir & Blanc des caractères.
Les couleurs obscurcissent à la mesure de leur exubérant naturel.
Impossible de voir.
Il faut entendre la rudesse du monde pour le faire…

Le cinéma en éveil conteste
à la perception naturelle,
à l’architecture perspective,
à la photographie,
le privilège archaïque de voir.

Jamais le même qui voit et entend, qui touche et qui hume.
On voit en levant le nez,
écoute en jetant un œil,
touche de près ce qu’on aime en flairant une pâleur.
Sons, lettres et images sont les composés les plus quotidiens
des synthèses du corps.

Il y a de l’Art quand un corps est à faire,
sitôt qu’imparfait se démène ce corps,
que ne répond ceci que je vois et cela que j’entends.
Une étoile sensible est toujours de passage.