Ecume

C’est une erreur de croire que l’écriture fragmentaire suppose derrière elle, ou vise à l’horizon, un texte accompli. Les blancs qu’elle laisse apparaître, auxquels elle refuse de donner des titres, ne sont pas les marques de l’inachèvement dans lequel elle aurait laissé, complaisamment, son travail, pris encore dans le flux de son inspiration, ni même le signe dispersé d’un désœuvrement volontaire (autre action concurrente dans l’espoir de ruiner l’œuvre) ; elles sont la marque d’un rythme. Celui des vagues me convient le mieux, des rouleaux verts et blancs déferlant sur la plage, avançant progressivement sur le sable, s’y enfonçant, s’y diffusant, échangeant parfois l’éclat coupant d’une bouteille en verre contre le corps bientôt noyé d’un nageur imprudent. Sans doute l’œuvre humaine est là, toute proche, aux limites des terres, présence hautaine que la mer menace quand elle se fait tempête. Mais avant la destruction de ces bâtisses humaines que sont les objets de l’Art (car l’Art étouffe s’il est visé en tant que tel) il y a l’érection des dunes que l’amoncellement insensible des marées réalise. Le blanc des pages qui s’étale sous mes yeux est celui de l’écume.