Perce-oreille

La perception d’un son ou même d’une suite de sons ne garantit pas la possession de la faculté de l’ouïe, c’est-à-dire la capacité de le ré-entendre. Quand les jazzmen, qui ne savaient pas écrire leur musique sur papier, purent l’enregistrer sur des bandes, ils se dotèrent alors une nouvelle oreille. Ce n’était pas parce qu’en écrivant leurs improvisations sur ce mode, ils trouvaient une mémoire, un support – tout le corps jouant était déjà une mémoire –  mais plutôt parce qu’ils se donnaient ainsi la possibilité d’entendre plusieurs fois la même chose. D’occasion forcément unique, leur improvisation devenait durée, c’est-à-dire un événement capable de se répéter. La perception de l’identité d’un son ne dépend pas de sa durée propre, ni même du support constant qui le garde en mémoire (qui le conserve plus ou moins à l’identique) mais de son pouvoir de répétition : il faut qu’il puisse revenir pour que je le reconnaisse et dise alors « c’est le même ». Seule l’écriture du son vous perce les oreilles.