Se serrer la ceinture

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Toute politique économique, toute forme d’économie depuis maintenant quatre siècles, suppose que soit donné quelque part un état de rareté. L’abondance nuit à l’esprit d’économie. Il y a toujours trop d’eau, trop de place, trop d’hommes. Au besoin, il faudra créer cette rareté. Tuer, expulser, polluer. Les catastrophes et les massacres sont des bienfaits économiques qui ne dépendent d’aucun calcul et d’aucun cynisme. Notre univers politique est tout simplement ouvert à ce genre de trafics : on négocie aujourd’hui, publiquement dans le monde, le droit de polluer.

Depuis que l’on nous a annoncé que nous vivions dans une nouvelle ère, celle de la mondialisation, les diagnostics, les interprétations sur le sens de cet événement varient. Certains y voit le déploiement d’une énorme richesse, et pas seulement évaluée en biens commerciaux (ce qui peut aussi bien nous offrir de nouvelles possibilités de vie qu’aiguiser les appétits de puissance des États), d’autres y trouvent la garantie de leurs discours de serrement de ceinture, de compétition acharnée, de charges trop lourdes pesant sur les chefs d’entreprise. L’occasion de faire admettre l’existence d’un nouvel état de rareté. « Nous sommes décidés à mourir de faim avant de commencer à avoir faim », disait Thoreau, et pour beaucoup cela veut simplement dire : Maintenant, fini de rire, vous avez connu le bonheur et l’aisance, il vous faut vivre absolument dans le besoin à présent !

En fait, la situation actuelle de l’État français, la politique d’austérité que nous vivons n’est pas tant la forme d’acceptation ou même d’accréditation résignée de cette rareté que sa réalisation progressive : une dénégation, un mépris, un renoncement forcené à toute forme de richesse ou de force publique qui n’est pas industrielle, militaire ou monétaire. Je pense à la santé, à l’éducation, au temps libre. Au travail non contraint. Nous voilà relancés dans une politique d’appauvrissement continu, calculé, ménagé, de la population. N’oublions jamais que les derniers télégrammes d’Hitler appelaient à détruire le peuple allemand.